J'aime toujours visiter ces paradis sauvages, imprégnés d'un subtil art de vivre. Le temps, curieusement, ne peut effacer les traces d'une filiation avec la France, qui ne s'exprime pas seulement dans le nom des rues, des routes et des villages. Filles de Normandie, Jersey et Guernesey le sont encore. Il suffit de quitter les villages et de s'enfoncer dans les terres pour reconnaître une campagne familière, sillonnée de chemins creux, plantée de pommiers à cidre et broutée par des vaches placides, dont le lait soyeux fait la crème fine et le beurre bien parfumé.
Terres de cultures maraîchères et vivrières, les anglo-normandes produisent en abondance des légumes – dont de savoureuses variétés de pommes de terre, tomates, panais –, des fruits, des fleurs. Mais elles laissent aussi la part belle au paysage et à la vie sauvage dont le pittoresque et la beauté n'ont pratiquement pas été altérés. Conscients de la richesse de ce patrimoine, Jersiais et Guernesiais s'efforcent de le faire valoir en proposant toute une série d'excursions à thème pour cavaliers, cyclistes, marcheurs occasionnels ou randonneurs expérimentés. L'automne fleuri, tranquille et adouci par le Gulf Stream, est en effet favorable aux longues promenades vivifiantes au bord des grèves, des falaises, ou dans le coeur verdoyant des terres.
A Jersey, un réseau de sentiers (green lanes)quadrille l'île et permet d'apprécier, en toutes saisons, l'incroyable diversité des ambiances pour un aussi petit territoire. Grandes plages de sable à l'ouest, où vient s'épancher le couchant, prés, vallées, rivières, forêts, au centre, rivages hérissés de récifs à l'est et falaises profondément échancrées plus au nord.
La magie des lieux pourra être appréciée en toute connaissance de cause. Des marches au clair de lune, à marée basse, lèveront tout le mystère d'un paysage lunaire immense, composé de récifs à découvert, d'algues, de sable et de coquillages.
Les sportifs pourront opter pour le chemin des falaises de la côte nord, qui offre des vues saisissantes sur le large dans un paysage de fougères roussies et de bruyères, puis dévale vers les baies secrètes, anciens repaires des contrebandiers. Des promenades plus familiales peuvent se faire dans les vallées et les forêts peuplées d'écureuils roux qui règnent sur l'île en maîtres, dans les landes émaillées de fleurs sauvages, vers les rochers battus par les flots, asiles de superbes oiseaux marins. L'histoire de l'île peut aussi faire l'objet de balades passionnantes, entre dolmens celtes, châteaux médiévaux, tours de guet édifiées au XVIIIesiècle pour protéger Jersey des invasions françaises, forts de la Seconde Guerre mondiale ou Saint-Helier, la capitale au riche passé.
L'archipel de Guernesey, qui compte, outre la grande île, les îlots de Sercq, Herm et Aurigny, ne sont pas moins avares de merveilles.
Sur l'île principale, la capitale, Saint Peter Port, a gardé le charme des petits ports de pêche d'autrefois, avec ses rues pavées, ses demeures anciennes et son château, Castle Cornet. Le «vrai vieux port normand à peine anglaisé», selon l'expression de Victor Hugo, n'a pas beaucoup changé. La vie citadine s'y concentre laissant, partout ailleurs, la nature et la verdure s'exprimer de façon sauvage, ou dans des jardins d'une richesse et d'un raffinement rares. L'idéal est de la parcourir à vélo en suivant les onze itinéraires circulaires, conçus pour une découverte en douceur ou sportive.
L'île est aussi jalonnée de sentiers côtiers, comme le chemin des douaniers, offrant de superbes panoramas et bordés de talus égayés en toutes saisons par une multitude de fleurs sauvages. Outre en vélo ou à pied, on peut aussi la découvrir en voiture, par le réseau de ruelles tranquilles, petites routes à l'écart du trafic, qui laissent la priorité aux marcheurs, aux cyclistes et aux cavaliers.
A Sercq et Herm, les moyens de locomotion sont plus limités encore. Sur la première, on a le choix entre un tracteur, baptisé «le bus», une charrette poussive tirée par un cheval, la bicyclette ou la marche à pied. Les chemins de campagne serpentant dans les prés et les bois ne perdent pas une occasion de révéler de vertigineux à-pics sur des baies saphir ou d'imprenables vues sur des jardins précieux, comme celui de La Seigneurie.
Encore plus petite, mais moins escarpée que Sercq, Herm joue la douceur et l'exotisme avec sa longue plage blonde, ses plantes tropicales, ses buissons d'échiums dressés vers le ciel.
Aurigny, la sauvage, possède une compagnie aérienne dont la flotte de petits avions jaune vif prend l'air en toutes circonstances. Mais elle est aussi dotée de la seule ligne ferroviaire des anglo-normandes, sur laquelle cahotent une petite locomotive et deux wagons verts. Pour les botanistes, c'est elle qui offre le plus d'intérêt, avec une flore riche de plus de 1 300 espèces sur à peine 1 000 hectares. Récemment directement reliée à la France par bateau, on peut la rejoindre en se laissant guider par les étoiles, comme le firent, des siècles durant, les Français amoureux de ces éclats de terre éparpillés.