Huit heures. Gorée s’éveille. L’âme de l’île se dévoile au petit matin ou en fin d’après-midi, lorsque le ballet des touristes venus faire leur excursion d’une heure ou deux disparaît derrière les flots du ferry. Le rideau tombé sur ce décor de rêve, Gorée – inscrite par l’Unesco au Patrimoine mondial de l’humanité – délaisse son rôle historique de mémorial de l’esclavage pour un registre off plus enlevé. Nul ne peut oublier la déportation de dizaines de millions d’Africains vendus aux Amériques dont la Maison des esclaves, aux murs rouge «sang caillé d’angoisse» (Léopold Sédar Senghor), rappelle l’horreur. Aujourd’hui, Gorée l’accablée demeure dans les livres d’histoire et sur les images tourmentées de «l’Histoire d’Adèle H.», tourné ici par Truffaut. Pas dans la réalité.
A vingt minutes de Dakar, l’île-refuge – de 900 mètres de long sur 300 de large – à l’architecture coloniale dégage un parfum d’indolence propice à la méditation et à la création. Plusieurs artistes africains y ont élu domicile, Moussa Sakho, le bricoleur de génie, ou Gabriel Kemzo Malou, installé dans le sublime fort-atelier de Moustapha Dimé – un des rares artistes du continent noir dont des œuvres aient été acquises par le Moma de New York de son vivant. Ousmane Sow passe en voisin le week-end. Cecilia Noah y réside trois mois pour travailler à ses dernières sculptures, ainsi que bon nombre de peintres du dimanche conquis par le charme envoûtant des lieux. Les people viennent s’y ressourcer. Jean-Jacques Goldman, Julien Clerc ou encore Richard Bohringer, ou aussi Emmanuelle Béart. Thierry Frémont y a même rencontré sa future femme, sur le tournage du film «les Caprices d’un fleuve». Le mariage célébré à Gorée reste gravé dans les esprits. Ici, tout le monde se connaît, du centre-ville aux hauteurs basaltiques où domine le Castel. Dans la ruelle qui monte vers la colline, après l’école et la série de maisons aux couleurs pastel, une inscription peinte sur un petit écriteau avertit: «Un vrai artiste va vers un chemin qu’il ne connaît pas, par des chemins qu’il découvre parfois, chemin faisant», maxime signée «Le prince», allusion énigmatique à un légendaire prince de Gorée. Des venelles de sable sillonnent l’île de part en part à travers de belles bâtisses rosées, ocre ou terre de Sienne, aux tuiles claires, restaurées par les plus aisés ou squattés par les défavorisés. Les hôtes de Gorée traversent un monde oublié, sans voitures, sans clubbing et sans vie nocturne agitée. L’anti-Saint-Tropez.
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Les échoppes tenues par des Dakarois affichent portes closes, seuls les petits marchands du village agencent leurs étals de mangues, goyaves, bananes, œufs frais… et bric-à-brac de fortune. Côté plage, de rares pirogues décorées de peintures traditionnelles accostent chargées de poissons, tandis que des gamins – rêvant d’un destin de footballeur international – pratiquent leurs entraînements sportifs sur le sable. Puis la sirène du bateau retentit. La chaloupe déverse ses visiteurs et ses travailleurs. C’est le moment de filer. De rendre visite à la créatrice de bijoux Marie-José Crespin, ancien haut magistrat et présidente du comité scientifique de la dernière Biennale des arts de Dakar, intarissable sur son île et érudite en matière d’histoire des perles en Afrique. De rêver dans les cours intérieures ou jardins plantés de cactus, figuiers, bougainvilliers. D’écouter raconter les rituels oubliés, l’histoire des signares – concubines – du temps passé, des antiquités exposées au charmant Musée de la femme sénégalaise. D’écouter le son des djembés. De flâner, l’esprit léger…
Au couchant, en sirotant un dernier verre de bissap glacé sur la terrasse du Chevalier de Boufflers, on relit le personnage éponyme, ancien gouverneur du Sénégal qui écrivait ici même à son amie Anne de Sabran: «Je trouve ici un séjour délicieux, il y a une montagne, une fontaine, des arbres verts, un air pur. Tout m’y plaît jusqu’aux pierres.» Tout simplement.
Marie-Angélique Ozanne
Ile de Gorée
Pratique
Aller-retour Paris-Dakar avec Corsair, 0825-000-825, à partir de 429 e en classe Horizon et de 723 e en classe Grand Large. Départs de province également. Voyages à la carte ou circuits incluant Gorée, tel «Sénégal authentique» à partir de 1278 e, avec Nouvelles Frontières, www.nouvelles-frontières.fr
Nouvelles Frontières Sénégal, (221) 823-34-34, pour du sur mesure: location de véhicules, voiture avec chauffeur, excursions culturelles, pêche au gros, soirées concert ou théâtre…
Bureau du tourisme de l’ambassade du Sénégal: 01-47-05-30-73.
Monnaie: 1 e = 657 francs CFA.
A voir: la Maison des esclaves, le musée de la Femme, l’atelier de Moussa Sakho, l’atelier de Marie-José Crespin (sur rendez-vous), (221) 821-37-41.
Hostellerie du Chevalier de Boufflers, 5 chambres de caractère dans une maison goréenne, à partir de 18000 francs CFA la nuitée. Réserver les chambres 7 ou 8 situées à l’extérieur de l’hôtel, au rez-de-chaussée de la maison du propriétaire, dans un cadre exceptionnel (23000 francs CFA la nuit),goreeboufflers@arc.sn
Beur Boumé, «la maison du prince», la seule villa de l’île avec piscine, à louer avec ou sans personnel de service. C’est dans cette ancienne maison de l’Aga Khan que les people descendent en famille (tarifs sur demande), savana@telecomplus.sn
Le restaurant de l’Hostellerie du Chevalier de Boufflers, (221) 822-53-64, propose des spécialités de la mer. Goûter l’assiette de l’Atlantique, le poisson à la saint-louisienne, les gambas farcies, le thiof grillé et les salades à base de fruits exotiques et de crustacés.
«L’Appel du phare», de Ismaïla Diène (éditions Présence africaine); «La Maison au figuier», de Abdoulaye Elimane Kane (éditions Sépia).
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