À Khor Virap, pèlerins et touristes se pressent pour visiter le cachot du monastère. Six mètres sous terre, l'atmosphère enfumée par les cierges est presque suffocante. Grégoire l'Illuminateur y fut jeté pendant treize années, avant de convertir le roi Tiridate IV au christianisme. Au tout début du ive siècle, l'Arménie devient ainsi le premier État chrétien au monde. La vue est saisissante sur la montagne biblique qui émerge majestueusement d'un océan végétal. Noé et son Arche se seraient échoués sur son flanc. Les Arméniens affirment fièrement en être les descendants.
Isolé, le monastère fortifié de Tatev se dresse sur une couronne de rochers au bord d'un canyon vertigineux. Il était au xe siècle l'un des plus grands centres spirituels et culturels du pays. Celui de Haghpat est considéré comme un chef-d'oeuvre de l'architecture médiévale, avec sa construction sobre et sa coupole en forme d'ombrelle. Au monastère en tuf rose et ocre de Novarank, des enfants courent derrière les colombes sur le parvis de l'église. Quelques abricots échangés avec leur famille se transforment en invitation à partager leur pique-nique sur les rives de l'Arpa. Du coffre de la Lada sortent quantité de viandes et de légumes, aussitôt embrochés et grillés sur le rivage. La soirée se prolonge en danses sous les étoiles.
« Visite arménienne » : c'est ainsi que les Grecs nomment une rencontre qui ne veut pas finir. Au fil de la conversation, on découvre tant à partager que la visite s'éternise. Au cours de notre séjour, combien de fois aura-t-on l'occasion de pratiquer ces « visites arméniennes », spontanées et généreuses? À Vorotan, minuscule village de 300 âmes, on va chercher l'institutrice qui enseigne le français. Tout ce qui est en cuisine se retrouve sur la table. En écoutant les toasts déclamés par le tamada, le maître du festin, on pioche parmi des montagnes de fromages et de brochettes, caviar d'aubergine et salades rafraîchissantes. Les verres d'eau-de-vie se lèvent à l'amitié franco-arménienne, à la paix dans le monde, aux douceurs de la vie, au souvenir des ancêtres, aux enfants et à notre descendance... Au passage d'un col dans les montagnes de Vardenis, on s'arrête pour acheter du miel à des apiculteurs. Ils insistent pour nous l'offrir et l'accompagnent d'une pile de lavash, cette fine galette de pain que l'on roule entre les doigts après l'avoir tartinée. En dépit de la pauvreté héritée des soixante-dix ans de soviétisme et des tragédies de l'histoire, les Arméniens ont gardé le sens de l'hospitalité et de la fête.
Erevan bouillonne. Avec son million d'habitants, la capitale concentre un tiers de la population du pays. Dessinée par l'architecte Alexandre Tamanian dans les années 1920, cette ville en damier est ceinturée de parcs. De la période communiste, il reste des usines abandonnées, des barres d'immeubles grises mais aussi des places monumentales égayées de fontaines où se baignent les enfants. L'été, les terrasses débordent. Les vendeurs de rue côtoient les vitrines luxueuses. Les Mercedes flambant neuves roulent à côté de Lada chargées de melons. Des grues hérissent le ciel, symbole du renouveau. Les brûlants week-ends d'été, les habitants d'Erevan s'évadent vers les pentes douces de l'Aragatz. Ce petit frère de l'Ararat s'élève à 4 000 m d'altitude. Les nomades Yezidis, minorité kurde païenne, y pratiquent la transhumance. Leurs campements de toile verte ponctuent ce paysage de steppes et d'alpages. Une petite route grimpe jusqu'au lac de Kari Litj, à 3 200 m d'altitude. Deux heures de marche suffisent pour rejoindre le cratère. Quelques flocons voltigent dans les airs. Au sommet, un oncle fête le retour au pays de son neveu émigré aux États-Unis depuis douze ans. En toile de fond, le majestueux mont Ararat salue leurs retrouvailles.