Gdansk, la ville des chantiers navals! Son nom évoque un paysage industriel dur, foyer de Solidarnosc, le syndicat indépendant, né en 1980, dix ans après la répression sanglante d'émeutes ouvrières contre la hausse des prix, qui allait cristalliser l'opposition au régime communiste. Les citoyens de Gdansk ne tiennent pas à l'oublier. Au contraire, ils honorent souvent le monument aux trois croix qui en célèbre le souvenir, à deux pas de la grille des chantiers de la rébellion, décorée d'un portrait du pape Jean-Paul II. D'ailleurs, les chantiers sont ouverts tous les matins aux touristes, qui, au-delà du pèlerinage historique, ne manquent pas d'admirer l'étrange beauté de la forêt de grues dominant l'estuaire de la Vistule. Ce n'est plus cette image que Gdansk veut d'abord donner d'elle-même, mais plutôt celle d'une ville apaisée et cosmopolite, désireuse de retrouver sa réputation de «perle de la Baltique», offrant à tous ses trésors culturels, resurgis par la force d'une volonté incroyable des ruines de la Seconde Guerre mondiale.
Les traces de Gdansk remontent au néolithique, mais le nom «Gyddanyzc» apparaît en 999, cité dans une biographie latine de son mythique fondateur, saint Adalbert. Sa baie protégée ne pouvait qu'attirer les marchands et les convoitises. La capitale des ducs de Poméranie fut la proie des chevaliers Teutoniques au XIVe siècle, qui la promurent, sous le nom de Dantzig, en un des bijoux de la ligue hanséatique. Reconquise par les Polonais au XVe siècle, elle acquit le statut de ville libre, véritable melting-pot où Hollandais, Flamands et Bourguignons trouvaient refuge, au XVIe siècle, aux côtés des Polonais et des Allemands. Ces trois siècles d'essor lui ont donné sa physionomie gothique et Renaissance: monuments de brique rouge dessinant des architectures solides et légères à la fois - telle l'immense basilique Sainte-Marie, la plus grande jamais construite dans ce matériau, ou le puissant hôtel de ville armé dont la flèche culmine à 81 mètres - et façades colorées comme des maisons de poupée, serrées les unes contre les autres, aux pignons triomphants et aux décors à la gloire des patriciens ou des confréries.
Avec le deuxième partage de la Pologne, en 1793, Gdansk retomba sous la coupe prussienne jusqu'à la fin de la Grande Guerre, malgré l'interruption napoléonienne, qui a laissé à ses habitants le souvenir d'un souffle d'air frais. Un air frais auquel ils goûtèrent à nouveau en 1920 puisqu'on décréta Gdansk, une fois encore, ville libre, sous le protectorat de la Société des Nations. Mais Hitler réclama le «corridor de Dantzig», qu'il attaqua le 1er septembre 1939, déclenchant la Seconde Guerre mondiale. La presqu'île du Westerplatte, à l'embouchure de la Vistule, le jardinet de la poste, au centre-ville, le camp de Stutthof, à quelques kilomètres, où périrent 85 000 personnes, témoignent d'une résistance héroïque et ajoutent à l'émotion que procure la découverte de la ville. Tout comme les photos de sa destruction, en 1945, par les bombardements soviétiques, exposées au musée de l'Hôtel-de-Ville, qui permettent de mesurer l'immense effort de reconstruction entrepris, dès 1949, à partir de quelques vieux clichés et de pièces d'archives miraculeusement rescapés. Dix années d'un travail de titan passées à reconstituer un puzzle gigantesque avec une merveilleuse habileté: un acharnement plus que réussi à restituer le souffle et l'étoffe du passé, malgré quelques petites trahisons, tels ces espaces verts ouverts çà et là sur les décombres.
Les carillons, comme ceux de Sainte-Catherine, jouant toutes les heures une mélodie populaire; les orgues, notamment celles de Sainte-Marie, au très beau buffet baroque, et surtout celles de la basilique cistercienne d'Oliwa, à 8 kilomètres du centre, qui font courir les amateurs du monde entier, avec leurs 7 876 tuyaux, capables d'imiter le tonnerre comme le vent, la flûte comme le cor, les roulements de tambour comme la voix humaine. Un extraordinaire appareil construit en vingt-cinq ans par Jan Wulf, au XVIIIe siècle, orné d'anges agitant leur trompette et d'astres scintillant au rythme de la musique, dont on peut mesurer les prouesses durant des concerts quotidiens.
Cette Gdansk, fière de son passé, est aussi fière de son présent: 80% de ses habitants, selon un sondage, ne voudraient pas changer de ville. Les plus âgés ont repris des rites d'autrefois, mais ne font pas peser leurs traditions sur le visiteur. La cité séduit par ses places animées et débonnaires du centre-ville, où de jeunes musiciens chantent les succès des années 70, et qui ressemblent à celles des grandes villes européennes.
On retrouve la même atmosphère à Sopot, la petite voisine, à 10 kilomètres de là, ville thermale créée par un médecin français en 1820, dont la saveur nostalgique contraste avec l'animation de ses rues. Une immense jetée de bois enjambe le ruban doré de la plage, redevenue fréquentable en 1995, après une longue opération de dépollution de la baie de Gdansk. Les plages sont plus belles encore sur la presqu'île de Hel, qui ferme la baie, à l'ouest, une zone naturelle protégée où les pinèdes et le sable se partagent l'espace étroit entre la mer ouverte et la mer intérieure. On les apprécie surtout à l'automne, après le départ des foules, alors que le soleil est encore doux et que l'eau de la Baltique atteint son pic de 20 ºC.
Les excursions sont nombreuses autour de Gdansk, des montagnes de Kachoubie, à l'ouest, avec leurs traditions vivantes, à la lagune de la Vistule, à l'est, dont le clou est la cathédrale fortifiée de Frombork, où le chanoine Copernic rédigea son fameux traité d'astronomie. Mais on ne saurait connaître totalement la Gdansk de la grande époque hanséatique sans avoir visité Malbork, à 60 kilomètres au sud, le fief des chevaliers Teutoniques, gigantesque forteresse de briques rouges sur la Nogat, l'un des plus beaux monuments gothiques au monde, inscrit au patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Il témoigne à la fois d'un sens redoutable de l'organisation et d'une civilisation raffinée. Si tant de grandeur vous épuise, terminez la visite (quatre bonnes heures au moins) par la découverte de son ravissant petit musée de l'Ambre, où la grâce et la magie sont au rendez-vous.