Se balader, mains dans les poches, sur les Ramblas, la plus célèbre avenue de Barcelone, est sans aucun doute la meilleure façon d'appréhender la capitale de l'avant-garde espagnole, attachante, fière et rebelle, porte-drapeau de la Catalogne. Se laisser porter par les rires, à contre-courant de la foule, et se retrouver irrésistiblement poussé vers la mer... Goûter pleinement l'exubérance de cette «alchimie» méditerranéenne, mêlant douceur du climat et culture épicurienne, est l'assurance de vivre intensément la cité, de capter ses gestes et ses attitudes les plus intimes.
Les intellectuels catalans disent sans hésiter qu'ils aiment Barcelone non seulement «pour sa culture, son architecture et son dynamisme, mais surtout parce qu'il y fait bon vivre». Dans leur sillage, on savoure les vins aux terrasses des cafés qui balisent, comme des bouées, les sept tronçons des Ramblas et l'on assiste au bonheur des Catalanes sirotant leur verre de xérès accompagné, presque à la dérobée, comme si c'était un péché, d'une langue-de-chat de la fameuse pâtisserie Escriba. Puis l'on va s'offrir, en bonne compagnie, une salade de cigales de mer a la escalivada, la spécialité du Taxidermista, un restaurant installé dans l'ancien musée des Sciences naturelles, ou encore un cochon de lait, sur les hauteurs du Tibidabo, à El Asador de Aranda, une villa de style colonial, rafraîchissante, aux plafonds recouverts de mosaïques, aux jardins et aux sculptures mauresques.
Plus tard, tenté par une sieste, on va s'asseoir a la sombra, à l'ombre d'un palmier, sur la plaça Reial, bercé par la ronde des landaus, des mères de famille, des gouvernantes, des bonnes sœurs et des paumés. Mais c'est seulement à la tombée de la nuit
qu'il est conseillé de se poster en observateur au bar de l'Opéra, pour assister au ballet suranné des limousines qui se délestent de la bourgeoisie barcelonaise, en smoking et robe du soir.
Plus canaille est la virée dans les gargotes du Barri Chino, quartier glauque aux néons pathétiques, où les prostituées partagent le trottoir avec les dealers de «chocolat» (haschisch). Les loubards y trinquent avec un sonore Salut i força al canut (santé et force au canon), gavés de tapas de la veille, sous les jambons qui pendent du plafond, le regard fixé sur les calendriers en tôle à l'effigie de pin-up, jaunis par la nicotine. Ces lieux de hasard renseignent plus sur la vie réelle de Barcelone que les nuits dans les boîtes à la mode et à la déco résolument design. La musique «tendance» (funky house, trip-hop, electro house) est orchestrée dans des hangars ou des entrepôts par les plus grands DJ internationaux, comme au Moog, au Nitsa Club ou encore au Torres de Avila, impressionnante création du designer Mariscal. Les noctambules s'y enivrent à la bière allemande et au mescal jusqu'à l'arrivée du bus de nuit mis en place par la ville, qui les ramènera, quoi qu'il arrive, à bon port.
Cette atmosphère particulière et renommée fait courir, chaque week-end, une faune en provenance des quatre coins de l'Europe, en car ou en train de nuit. Point d'orgue, le festival Sonar, au début de juin, regroupe durant quatre jours de fièvre tout le gratin de la musique électronique.
Sensuel et esthétique, Barcelone a engendré une génération de plasticiens, d'illustrateurs et de designers d'exception. Multiples sont les exemples de créations originales. La cité en apporte la preuve à chaque coin de rue: courbes de Gaudi, œuvres surréalistes de Dali, musées Miro ou Picasso, qui vécurent à Barcelone, et, plus récemment, l'énorme sculpture Fish, gros poisson échoué de 50 mètres de longueur, création de Frank Gehry qui capte les lumières cuivrées du soleil couchant.
Barcelone vante d'ailleurs aux visiteurs son «parcours moderniste», inspiré du mouvement du même nom, qui naquit à Barcelone à la fin du XIXe siècle. Ce parcours conduit, en flânant, directement au pied des œuvres majeures. On peut donc faire le détour par le passeig de Gracia, pour admirer le travail de Gaudi: la féerique casa Batllo et l'ondulante casa Mila, puis, plus loin, les époustouflantes stalagmites de la Sagrada Familia, l'œuvre phare inachevée de l'architecte, à qui l'on doit également l'exubérant parc Güell. La végétation tropicale de ce jardin est parsemée de sculptures fantasmagoriques, tels des salamandres, des dragons et des farfadets. Un monde délirant, fragile, «qui nécessite une surveillance de tous les instants», répète inlassablement son gardien bénévole, qui n'a d'yeux, semble-t-il, que pour le banc réalisé en trencadis: des éclats de faïence formant des mosaïques - là encore, une invention de Gaudi. Ce serpentin de 126 mètres surplombe toute la ville.
Limiter la spécificité architecturale de Barcelone aux œuvres de Gaudi serait fortement réducteur. Même si les antiquaires du Barri Gotic (inabordables) continuent de vendre les rarissimes meubles du maître, il ne faut pas oublier des réalisations importantes d'architectes moins connus, comme Puig i Cadafalch, Salvator Valeri Montaner, Josep Vilaseca ou Domenech i Montaner, dont le hall du palais de la Musique catalane, mystique et foisonnant, est l'un des plus beaux du monde.
Hors des circuits «classiques», Barcelone offre d'autres réjouissances: ses cours de palais, croulant sous les cyclamens et les bougainvillées; la colline de Montjuic, poumon de la ville; sa fondation Miro; les façades baroques du Barri Gotic et la multitude de places intérieures, secrètes... Ainsi peut-on traverser plusieurs fois la cathédrale en allumant un cierge avant de dénicher le cloître, halte empreinte de sérénité. Cette véritable oasis aux fontaines rafraîchissantes et aux palmiers rares débouche sur le parvis, où de vieux couples de Catalans se donnent rendez-vous chaque semaine, depuis la fin des jours maudits du franquisme, pour danser la sardane, une chorégraphie dont chaque pas est compté avec précision. Barcelone voue aussi un véritable culte à ses vertigineux castells (pyramides humaines), où le moindre faux pas peut entraîner une chute de 15 mètres.
En SAVOIR PLUS: GUIDE DE BARCELONE
AUBERGES DE JEUNESSE BARCELONE