Dans le corral, le prochain concurrent assure sa prise. La seule chose qui le lie au taureau sur lequel il est à califourchon, c’est cette gantée agrippée autour de la corde qui enserre la bête. L’autre main, nue, servira de balancier. Dans le box voisin, un autre cow-boy, sur un cheval celui-là. Les portes s’ouvrent. Le destrier s’élance, le bovin bondit. Trouvant un espace à la mesure de sa hargne, le monstre de 600 à 800 kg se lance dans une furieuse danse pour envoyer bouler l’importun qui le chevauche.
But du jeu : tenir dix secondes autant dire dix siècles avant d’être pris en croupe par le cavalier accompagnateur. Les ruades de l’animal sont terrifiantes : le cow-boy n’est plus qu’une poupée de chiffons ballottée dans tous les sens. Ne pas tomber et, surtout, pas devant. Tenir, tenir, pendant ces fichues secondes d’éternité, qui s’égrènent comme au ralenti, dixième après dixième. Le tableau lumineux indique que la moitié du contrat est remplie.
Le public, qui commence à y croire, encourage le supplicié désarticulé. Le gong retentit. D’un bond, le cow-boy se retrouve assis sur le cheval salvateur. La foule, siffle, hurle, exulte. Ils sont bien peu à ne pas mordre la poussière. « Yi-yah », ponctue avec force le speaker. La scène se déroule chaque année au Houston Livestock Show and Rodeo, le plus important festival du genre aux États-Unis et donc dans le monde.
Mais ce n’est pas la seule discipline offerte au plaisir des 72 000 spectateurs, dont une majorité de Texans venus en voisins, qui se bousculent chaque soir pendant plus de deux semaines au stade de l’Astrodome. Il y a aussi le domptage de chevaux sauvages ou encore le lancer de lasso avec mise à terre de jeunes taurillons. Le tout en moins de six secondes pour les meilleurs ! La fin de la soirée se termine par le traditionnel concert d’une vedette régionale, voire souvent nationale : c’est ici, par exemple, rappellent non sans fierté les organisateurs, qu’Elvis Presley a donné son premier récital après son service militaire !
Comme souvent, lors de tels spectacles, surtout depuis le 11 septembre, le show s’achève sur le déployé de la bannière étoilée par les pompiers locaux, salué par une « standing ovation » du public. On a beau éprouver une certaine distance devant ce patriotisme un peu fétichiste, il est difficile de ne pas être touché par cette foule debout et unie comme un seul homme, portée par la voix a capella du chanteur. C’est aussi cela, l’Amérique.
Mais le Houston Livestock Show and Rodeo, c’est aussi un véritable salon de l’agriculture, avec ses animaux de ferme (dont de splendides zébus à la robe blanche immaculée) et de basse-cour, mais aussi des bêtes plus exotiques comme les lamas ou les chèvres cachemire... Un royaume extraordinaire pour les enfants, à en juger par leurs yeux écarquillés. Pour ceux qui n’ont pas totalement oublié l’époque où ils jouaient aux cow-boys et aux Indiens, le rodéo est un spectacle qui vaut à lui seul le voyage au Texas.
Qu’on se rassure : le rodéo de Houston, qui se tient chaque année durant la deuxième quinzaine de février, n’est pas le seul . Si la saison hivernale est la plus dense, il est possible de dénicher un spectacle de bon niveau à peu près toute l’année au Texas, le plus grand État américain. Ici, à Houston, voire à Dallas, Austin, San Antonio, Fort Worth ou ailleurs, la culture cow-boy perdure, même en dehors du rodéo. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les Texans.
Ils sont nombreux à porter le chapeau à larges bords popularisé par « JR » dans la série télévisée « Dallas » ou des « santiags », ces chaussures au bout pointu et talon oblique que l’on appelle ici des « boots ».