Le long de criques recouvertes de laves calcinées et de sable volcanique, dans le fracas des vagues de l'Atlantique, serpente la route vers Garachico. Fondé en 1496 par un banquier génois, Cristobál de Ponte, l'ancien port principal de Tenerife, détruit par l'éruption du volcan Negro, en 1706, reste un lieu chargé d'histoire. Reconstruit tout au long du xviiiesiècle, il a gardé ses anciens monastères et ses maisons coloniales à balcons et volets vernis. Au loin, le pico del Teide dresse ses 3718mètres qui en font le plus haut sommet d'Espagne. Le volcan en sommeil domine un paysage lunaire, qui paraît avoir été labouré par la main d'un géant. Les débris de sable noir s'étendent à perte de vue, ponctués de rouge puis de vert, la mer de lave laissant bientôt la place aux forêts de pins où virevoltent des pinsons bleus. Véritable trésor écologique, cette cordillère arborée divise Tenerife, la plus grande des sept îles de l'archipel des Canaries, les îles Fortunées de l'Antiquité, nées d'un jaillissement de magma à la surface du globe. Et qui forment la Macaronésie, avec Madère, les Açores et le Cap-Vert, au large du Sahara.
En majorité anglais, espagnols et allemands, les touristes privilégient le sud, sec et toujours ensoleillé. Résultat: autour des playas de Las Américas et Los Cristianos, le front de mer déroule depuis les années 1960 une frénésie de béton qui a fait son temps. Les autorités ont voté un moratoire interdisant toute nouvelle construction pendant trois ans. Mieux vaut donc découvrir le nord de l'île, certes plus humide et parfois même pluvieux, les reliefs arrêtant les vents alizés. Mais qui présente le vrai visage de Tenerife, avec sa végétation exubérante, son activité agricole et ses villes au passé glorieux.
Après une randonnée dans le parc national du Teide, cirque volcanique, direction La Orotava, vaste vallée verdoyante recouverte de bananeraies puis de vignes qui conduit à la ville du même nom. La petite naine canarienne est une banane douce et sucrée qui pousse sur les pentes volcaniques et réclame beaucoup d'eau. Jusqu'à 400 litres par kilo de fruits, d'où sa faible rentabilité. Le vignoble, qui bénéficie d'une appellation d'origine, fournit des vins blancs ronds et moelleux. Et quelques rouges fruités. Plantée de palmiers, la vieille cité s'accroche à flanc de colline, surmontée par les deux tours de l'église Nuestra Señora de la Conceptión. Les enfants préparent déjà les tapis de fleurs qui rivaliseront d'imagination créatrice et de ferveur chrétienne lors des processions de la Fête-Dieu. Dans les hauteurs, des moulins toujours en activité transforment un mélange d'orge, de froment et de maïs en une sorte de gruau: pétri avec de l'eau dans un sac en peau de chèvre celui-ci donnera le gofio, la bouillie dont se nourrissaient les Guanches, les premiers habitants de l'île décimés par les conquistadors espagnols.
Sur la côte, à l'ouest, Puerto de la Cruz vaut le détour pour son jardin botanique et ses centaines d'espèces, célébré par André Breton dans «L'Amour fou». Puis on remontera vers l'est, jusqu'à San Cristóbal de La Laguna, la première capitale de Tenerife après la «conquête». Ville coloniale sans fortifications, elle a gardé son tracé d'origine (année 1500), sur un plan à damier. Palais baroques, musées, siège du gouvernement… A 600m d'altitude, La Laguna raconte cinq siècles d'histoire à travers ses monuments. Plus au nord encore, il faut se perdre dans la forêt subtropicale du massif d'Anaga. Jungle présente à l'ère tertiaire dans le bassin méditerranéen, la laurisilva est un fossile vivant, les vents océaniques ayant préservé ses espèces végétales endémiques, le laurier, le faya, l'if ou le viñatico. A la nuit tombée, il sera toujours temps de goûter dans les tascas la spécialité des Canaries: les papas arrugadas, de petites pommes terre cuites au sel avec leur peau et accompagnées de mojo, une sauce rouge ou verte à base de piments .
QUELQUES PHOTOS DE VOYAGE: TENERIFE