Le sari des hôtesses reproduit les ocelles du paon. Un plumage éclatant est signe de bonne santé. Ce faisan magnifique est l'emblème de Sri Lankan Airlines, mais aussi un symbole. Immortalité ? Renaissance ? Pensées de fin de voyage, douze heures de vol entre Paris et Colombo. Les poètes ont comparé Ceylan à un pendentif au cou de l'Inde. Pour les géographes, c'est un territoire deux fois vaste comme les Pays-Bas. Pour les politiques, un État où la pacification s'éternise. Mais chaque île est aussi un laboratoire où tout ce qui vient de l'extérieur - animaux, plantes, êtres humains, préjugés, croyances - se métamorphose.
À peine à terre, nous embarquons à bord d'un hydravion. Vu du ciel, ce qui frappe, autant que la verdeur de l'île, ce sont les miroirs incrustés dans sa luxuriance. À l'époque des cathédrales, elle comptait mille kilomètres de canaux. Chaque envahisseur s'est reflété dans le système d'irrigation des vieilles dynasties. Ces bassins étaient-ils des leurres visant à détourner l'attention des Portugais avides de girofle, des Hollandais obsédés de cannelle? « J'ai vu sur cette île des volatiles aussi gros que les oies de chez nous et qui avaient deux têtes », rapporte Odéric, frère franciscain du xive siècle. Le paon lui répond qu'il y a des yeux pour voir et d'autres pour être vu.
Nous amerrissons sur le réservoir du barrage Victoria, près de Kandy. Le dernier roi, dépossédé par l'Angleterre, s'y était retiré avec son harem sur un îlot. Il avait la réputation d'asseoir les chefs locaux qui regimbaient sur un de ces bambous à croissance rapide comme on peut en voir au jardin botanique de l'ancienne capitale. Nous n'avons pas vu Kandy, car nous avions à faire du côté de Bogawantalawa, au royaume du thé d'altitude. Imaginez la Suisse sous les Tropiques, une végétation alpestre mêlée d'eucalyptus, d'arums, de tulipiers. Les théiers parfument l'air, escaladent les pentes comme une armée de bonzaïs. Les hommes taillent et les femmes cueillent, main-d'oeuvre tamoule, majoritairement hindouiste. Sans leurs soins minutieux, le jardin se transformerait en jungle. 17 000 personnes vivent du thé dans cette seule vallée.
La hiérarchie ressemble à celle des vignobles. Il y a tout un vocabulaire de dégustation, des versants, des crus, des appellations, des Orange Pekoe (OP) à feuilles broyées, ou brisées. Le thé est la deuxième boisson consommée après l'eau, et le Sri Lanka, avec ses 300 000 tonnes exportées, est une des grandes théières du monde. Alors qu'une maladie ravageait les plantations de café, un Écossais du nom de James Taylor introduisit la culture du thé à Ceylan en 1867. Les plants venaient d'Assam et de Chine. Fort, sucré, adouci de lait, c'est à la mode ceylanaise que nous le dégustons, en contemplant le damier émeraude des Kirkoswald Mountains. Le bungalow du Tientsin Estate a été converti en hôtel de charme. On pourrait se croire dans les Highlands, si les lits n'avaient pas de moustiquaires. Les gentlemen planteurs étaient pour la plupart écossais. Ils ne manquaient jamais l'office du dimanche, disputaient des tournois de polo, chassaient à courre le chacal. Plus agréable que les hivers à frissonner en kilt.
Des hautes terres, nous avons plongé dans la vallée matelassée de brume, d'une extraordinaire abondance. Les plantes jaillissent de partout, rampent jusqu'à la route. Ce sentiment d'un éden folâtre et oppressant, nous l'éprouverons plus vivement encore au sein de la forêt pluvieuse du Sinharaja, inscrite par l'Unesco au Patrimoine mondial des biosphères, où les écureuils géants et les singes à face rouge jouent parmi les racines tentaculaires et les hampes de cardamome. Dans cette serre humide, les liens entre faune et flore sont d'une incestueuse extravagance.
L'écrivain Paul Bowles, un jour qu'il attaquait fortissimo un clavier réticent, vit un long serpent s'élever à la verticale. Cette expérience ne le dissuada pas d'acquérir l'île de Taprobane où se niche une des maisons les plus romantiques qui soient. Il est possible aujourd'hui de louer cette villa octogonale bâtie dans les années folles par un aventurier mondain. Mais le dernier soupir sera pour Galle et son fort hollandais qui a victorieusement résisté au tsunami de l'an passé, où glissent les fantômes de la Oostindische Compagnie, sa grande caserne d'hôtel où l'on dînait jadis en robe du soir et smoking. Le New Oriental a changé de nom, mais il a gardé son austère mobilier colonial et ses ventilateurs à longues pales. Les caravansérails de nomades fortunés échappent rarement à leur destin de palaces mythiques. Bientôt, sur la plage, où un pêcheur tranche la tête d'une bonite, les gentlemen disputeront leur tournoi de polo annuel à dos d'éléphant. Aux dires des bouddhistes, tout bien est source de préoccupations.
Dans la vallée de Bogawantala, 17 000 personnes, majoritairement des Tamouls, vivent de la récolte du thé.