Ce soir, juste avant le coucher du soleil, il fait doux, un temps presque tendre. Le décor de l'hôtel Galle Face (1856), tout de balustrades et colonnes, fait face à l'océan Indien. Les vagues cognent, battent la digue. Apporté par le vent, le sel se dépose peu à peu sur la peau, le vent caresse visage et cheveux. Quelques nuages de mousson strient de mauve le ciel flamboyant. Au loin, des paquebots, porte-conteneurs ou pétroliers. Le bruit des vagues durera toute la nuit et, pourtant, l'hôtel, au style colonial décati juste ce qu'il faut, est au centre de Colombo, la capitale. Ballet des corbeaux à l'affût sur les cocotiers. Avide de sucre en sachets, la horde tente d'impressionner les enfants blonds en short qui les poursuivent. Grand jeu. Les serveurs, pantalon noir ou sarong blanc, vont et viennent, citronnades sur plateaux. Pas de touristes en groupes sauf à midi, ici les «individuels» font de la résistance. Dans les immenses chambres au plancher en teck de Birmanie, les ventilateurs tournent au-dessus des lits. Les serpentins de coil, ce puissant antimoustique qui hante les nuits d'Asie, se consument, remplissant peu à peu de fumée bleutée l'espace de la pièce.
Peu ou pas de mendiants, les familles
ne logent pas dans la rue, les enfants sont presque tous scolarisés
La splendeur de la nature ceylanaise a été évoquée par de nombreux écrivains. Le centre de l'île est constitué par l'ancien royaume de Kandy, qui a résisté à tous les envahisseurs avant de se rendre aux Britanniques en 1825. Le paysage change à chaque instant. On traverse de superbes collines plantées d'hévéas et de théiers. Des cueilleuses de thé ou de latex se rendent sur leur lieu de travail. Le pic d'Adam (2 243 mètres), lieu de pèlerinage pour le bouddhisme comme pour les autres religions, domine la chaîne des Knuckles Mountains. Dans une échoppe au bord de la route, pause-dégustation de noix de coco royales ouvertes à la machette, de délicieuses mangues vertes qui n'ont l'air de rien, à la chair d'un vif jaune orange ou, en saison, de mangoustans, les plus délicieux des fruits.
Partout le niveau de vie surprend. Même si les salaires sont bas, peu ou pas de mendiants, les familles ne logent pas dans la rue, les enfants sont presque tous scolarisés. Constat sévère par rapport au sous-continent indien. Sur les 19 millions de Sri Lankais, 2 millions travaillent dans le Golfe. Ceci explique cela, malgré les coûts entraînés par la guérilla tamoule. Celle-ci se cantonne dans son fief du Nord et, jusqu'à présent, n'attaque pas les touristes. Seuls quelques barrages militaires rappellent au voyageur les troubles qui sévissent dans le pays depuis une quinzaine d'années. Les minces soldates aux traits fins semblent d'ailleurs s'excuser, d'un sourire éblouissant, d'être tenues de vous dévisager.
Les vestiges archéologiques des civilisations anciennes forment comme un «triangle culturel» dans le centre de l'île. L'étape de Dambulla permet de visiter les divers sites alentour. Des bungalows ont été construits au bord d'un lac ombragé. Rien de plus paisible, apparemment, que ce paysage autrefois domaine des éléphants sauvages. Des sentiers relient les maisonnettes au restaurant et à la piscine. Près du lac, à l'aube, des dizaines de hérons blancs cherchent leur nourriture, puis s'envolent en caquetant. Des oiseaux à bec rouge, des mainates se posent. Deux buffles commencent à paître. L'orage d'hier soir a fait sortir de gros escargots, des fleurettes violettes se sont ouvertes. Un pêcheur lance son filet. D'innombrables écureuils gris à queue rayée sautillent en vaquant à leurs occupations. Un jardinier en sarong ramasse les feuilles sèches. Un serpent (on vous jure toujours qu'il n'est pas venimeux) file dans un trou. Un iguane traverse le sentier. Il fait à nouveau chaud, la transpiration commence, elle ne cessera pas de la journée. Le soir, concert de grenouilles, stridence des cigales et bourdonnement des moustiques. Certains amateurs viennent ici deux fois l'an afin de bénéficier de massages ayurvédiques (médecine traditionnelle). On les comprend: détente parfaite avant de reprendre la route rouge, poudreuse de latérite.
Le soleil tape dur pendant la petite ascension sur les marches en zigzag menant au temple rupestre de Dambulla et à son monastère bouddhique - 77 avant Jésus-Christ - perchés à 200 mètres au-dessus de la plaine. Le week-end, les Sri Lankais sont nombreux à venir y faire leurs dévotions, bouquets de lotus pourpres ou blancs à la main. Des familles de macaques attendent les gâteries des fidèles. Un énorme écureuil de montagne à queue touffue (elle lui permet de garder l'équilibre lors de ses escalades sur les manguiers) espère lui aussi une récompense. Le panorama s'ouvre peu à peu sur le rocher-citadelle de Sigiriya et sur la campagne.
Voici l'entrée. Il convient d'y laisser ses chaussures et d'avancer pieds nus sur les dalles brûlantes. Avec leurs dizaines de statues de bouddhas couleur safran et de bodhisattvas peints sur les parois, les grottes creusées dans le roc sont splendides. Choc devant l'une des merveilles de la planète, restaurée au fil des siècles. L'Unesco a classé le site sur la liste du Patrimoine de l'humanité, ce n'est que justice. Des femmes en sari et de jeunes filles en jupe longue murmurent des sutras. Un monsieur âgé soutenu par ses fils va, lui aussi, prier devant les antiques bouddhas jaune-orangé. Prosternations dans la pénombre. Grand moment d'émotion ceylanais.
Pour qui aime randonner malgré la présence des humains, des fourmis rouges et autres sangsues, la réserve de Sinharaja reste à l'image d'un Ceylan en voie de disparition, semblable aux descriptions du voyageur arabe Ibn Battuta (XIVe siècle). La forêt vierge, pluviale, n'existe pratiquement plus ailleurs sur l'île. Orée du parc. Même là, le thé, le plus rentable des produits, la cash-crop, comme disent les villageois, grignote l'espace, remplace peu à peu jungles et animaux sauvages. Maudits buissons. Les arbres centenaires se trouvent à deux heures de marche de la forêt secondaire. Quatre éléphants, sept léopards, de grands singes noirs, des aigles, des mangoustes, des papillons, des reptiles survivent dans le silence au milieu des fougères, des lianes et des orchidées. Les amateurs d'oiseaux rares parcourent la réserve, jumelles autour du cou.
Puis périple sur la côte sud avant de repartir. Çà et là, des frangipaniers envoient leurs senteurs exquises, leur parfum sensuel, obsédant. Repos sur les somptueuses plages bordées de cocotiers, assorti de surf ou de plongée sous-marine dans les coraux. Ce matin, il faisait très beau, puis nuages et vent ont surgi. L'orage tonne. La pluie, rapide et torrentielle, ne tardera pas. Les auberges de jeunesse sont nombreuses au Sri Lanka.