La prochaine fois que vous irez à Montréal, surtout n'oubliez pas d'aller fouiller chez les bouquinistes à la recherche de vieux livres de cuisine, enfin pas si vieux que ça, disons des années soixante. C'est un régal. Toute l'âme du Québec est dans ces recettes rustiques, sans chichis, étonnamment dépaysantes. Des recettes de mères. Au Québec, les mères sont omnipotentes. Femmes de pêcheurs ou d'hommes qui bûchent le bois, les hommes étaient loin, elles ont pris leur place.
Prenez le livre de Cécile Roland Bouchard (Léméac, 1971), qui nous conduit dans la région du fjord du Saguenay (l'un des plus longs du monde), de Chicoutimi («Jusqu'où l'eau est profonde» en montagnais) et du lac Saint-Jean. Un pays de pionniers, à 400 kilomètres au nord de Montréal, francophone à 95%. On nous invite d'abord à boire un vin de bleuets (ces grosses myrtilles nord-américaines), de cerises, de gadrelles rouges (groseilles) ou une bière de gingembre. Après quoi, soupe à la poulette grasse et aux gourganes – ces gourganes, ce sont les grosses fèves ou fèves des marais. On les accommode de différentes façons, mais surtout au lard et à la graisse d'oie. Et puis le poisson-roi de la région, la ouananiche, le saumon du lac Saint-Jean, qu'elle nous propose en salade. Mais il y a aussi les coregones, qui ressemblent un peu à des ombles ou des féras, le filet de doré ou le poisson cuit dans une écorce de bouleau et enfoui dans le sable.
De la chasse, bien sûr. Au choix: la classique outarde rôtie (une oie sauvage du nord de l'Amérique), le caribou à la graisse de rôti, l'épaule de loup-cervier, la fesse d'ours au lard salé, le siffleux (marmotte) ou le porc-épic au four et la queue de castor dans la braise chaude. Enfin, pissenlits au lard, fromage au lait cru, tarte aux groseilles vertes ou crêpes aux bleuets. Là-dessus, faites un tour dans l'estuaire du Saguenay pour le ballet des baleines. Vous y verrez même le rare béluga, qui y séjourne en permanence. Le livre de madame Charles Gagné (Léméac, 1973), nous emmène lui, en Gaspésie (d'après le mot micmac gaspeg, qui signifie «là où la terre se termine») et dans les îles de la Madeleine, très courues l'été, en plein cœur du golfe du Saint-Laurent. La grande région du homard. Mais aussi du crabe des mers et de la morue. Donc, en entrée, savourez les délices à la tête de morue (bien «écrâner» et ne garder que les bajoues) ou la tarte aux langues de morue ou la salade de homards à l'ananas. Après ça, kakawi farci (un canard sauvage des régions arctiques, à longue queue effilée) ou rôti d'orignal (élan d'Amérique, qu'on chasse beaucoup dans l'Abitibi, au nord-ouest du lac Saint-Jean). Enfin, pain doré à l'érable (c'est notre pain perdu) ou gâteau aux bonbons jujubes.
Autre trouvaille, l'ouvrage de Laure Porlier Bourdages (Léméac, 1983). On commence par un vin de cormier, de pissenlit ou de salsepareille. Soupe aux feuilles (jeunes feuilles de navets, choux, radis, betteraves et ciboulette). Pâté de pigeons de mer (guillemots) ou d'éperlans. Truites sautées. Perdrix à l'étouffée ou sauté aux alouettes (ou aux ortolans, aux oiseaux des neiges – on prend plus ou moins ce qu'on trouve). Et salade de fruits sauvages: fraises des champs, mûres, bleuets, plaquebières (petits fruits qu'on trouve sur la côte nord), merises et framboises. Gâteaux aux pommes sèches, crêpes sans farine (avec seulement des œufs d'oiseau de mer et du lait) ou crème à la rhubarbe.
Et un petit dernier, le livre de Roseline Normand et Suzette Couillard (1981), qui nous offrent quelque chose d'encore plus simple: l'illustrissime bière d'épinette (épicéa). Oignon à la crème. Fesse de veau à la carotte ou coq au chou. Pain aux canneberges. Et, en dessert, tarte à la citrouille ou grands-pères au sirop d'érable, le dessert canadien par excellence (une pâte à gâteau cuite dans un sirop d'érable ou un sirop à base de cassonade). Avec les œufs, le jambon, les fèves au lard et les oreilles de Christ (lardons), c'est le menu substantiel dans les cabanes à sucre, quand au printemps on va recueillir et faire bouillir «l'eau» d'érable dans les érablières. Et justement, que diriez-vous, pour finir d'une glace à l'érable ou au miel?
Allez, bienvenue!
AUBERGES DE JEUNESSE MONTREAL