Il y a cinquante ans, la Costa Smeralda, au nord-est de la Sardaigne, était abandonnée aux moustiques. Aujourd'hui ses plages blanches enchâssées entre des blocs de granite doré sont le point obligé du ralliement estival de la jet-set.
Le Pygmalion qui, au début des années soixante, révéla ces terres isolées et rudes mais à la beauté du diable, s'appelle Karim Aga Khan. Conquis, le prince des Ismaéliens achète une cinquantaine de kilomètres de littoral, s'entoure d'architectes inspirés, dont le Français Jacques Couelle, et invente Porto Cervo. Vingt kilomètres plus loin et quelques années après (1966), un aristocrate vénitien, le comte Luigino Donà delle Rose crée de la même façon Porto Rotondo, plus intime mais aussi " people " que le précédent.
Depuis, têtes couronnées, capitaines d'industrie, ministres, grands couturiers et mannequins, vedette du show-bizz, aristocrates vrais ou inventés, étoiles du petit comme du grand écran, tous suivis par une volée de paparazzi, amarrent chaque été leur yacht aux pontons des marinas de Porto Cervo ou de Porto Rotondo.
Silvio Berlusconi qui possède ici sept villas, Naomi Campbell et son ex-fiancé Flavio Briatore, patron d'écurie de Formule 1 et propriétaire du très exclusif Billionnaire (la boîte de nuit qui fait fureur), la famille Agnelli et bien d'autres vont ainsi de l'une à l'autre station.
Inspirés de ce qu'il y a de mieux dans le style méditerranéen, Porto Cervo et Porto Rotondo, articulent leurs façades trouées d'arcades, leurs terrasses et portiques autour de " piazzette " qui sont autant de salons mondains où il importe de voir et, surtout, d'être vu.
Ce ballet a ses figures imposées, à commencer par la tournée des boutiques griffées Gucci, Ferre, Prada, Versace... (comble du snobisme, Armani est l'un des seuls à ne pas être présent) où il est de bon ton de craquer devant un minuscule maillot de bain en dentelles, un paréo en mousseline ou des sandalettes minimalistes... à des prix tout simplement inabordables.
Au coucher du soleil, cap obligé sur la " piazzetta " de Porto Cervo, pour prendre un verre au Bar
del Baffo si l'on a moins de trente ans. Et à Il Portico, au-delà de cet âge canonique. C'est ici que s'échangent les invitations à participer aux fêtes qui animeront la nuit de Sardaigne. Après le dîner,
il faudra de toute façon faire un tour au Café du Port de Porto-Vecchio où trouver une table libre, a priori un exploit, révèle le baromètre des notoriétés.
Au bout de la nuit passée sous les lumières du Billionnaire pour ceux qui ont su montrer patte blanche ou, pour les autres, au Sottovento, le club historique de Porto Cervo, tout le monde se retrouve à la marina de Porto Vecchio chez Panino Giusto, histoire de petit déjeuner d'une brioche trempée dans un cappucino avant, enfin, d'aller se coucher.
Cet après-midi, pour rester tendance, rendez-vous sur la plage Liscia Ruja (à 8 km de Porto Cervo),
un bijou de sable blanc serti de roches rouges où les habitués se font dessiner un tatouage au henné à exhiber dans l'un des suggestifs maillots de bains tricotés à la main vendus dans les petits kiosques. La paire d'heures passée chez Rubertelli, le coiffeur de Porto Cervo (Piazzeta Clipper) pour se refaire une tête après cette courte journée passée sous le soleil est aussi un signe de reconnaissance.
A côté de ces plaisirs huppés, il en est d'autres plus simples : sabler le champagne au sommet de la colline de Pantogia au moment où le soleil bascule dans la Méditerranée. Ou bien s'attabler chez Gianni Pedrinelli, un restaurant évidemment étoilé, d'un mélange de pecorino (fromage de brebis) et de tomates groseilles grignoté en terrasse au clair de lune.
Dès la fin du mois d'août, quand le petit monde des étoiles décolle pour d'autres cieux, la Sardaigne retrouve son calme et sa sérénité. Certes, l'exhibition est terminée. Mais, justement, c'est le bon moment pour, à prix enfin raisonnable, vivre à la manière d'un prince, en leurs palais.
La chemise rouge de Garibaldi
A l'opposé des artifices de Porto Cervo et Porto Rotondo, les sept îles de l'archipel de la Madalena affichent le naturel de côtes rocheuses sculptées par le vent, que baigne une eau cristalline où se délassent cormorans et amoureux de solitude. Seules La Madalena et Caprera (1) reliées par une jetée de 600 mètres de long sont habitées.
Garibaldi, le héros de l'unité italienne, se réfugia sur cette dernière en 1849 après la chute de la République romaine. Puis il y habita à partir de 1856 jusqu'à sa mort en 1882. Sa maison, la Casa Bianca, se visite, émouvante gentilhommière où sont rassemblés quelques-uns de ses souvenirs : moulin à café, pistolets... et bien sûr sa mythique chemise rouge, présentée dans une grande vitrine. Sa tombe, un imposant bloc de granit brut, gît sous l'ombre d'un pin, à l'arrière de la maison.
(1) Liaisons maritimes toutes les demi-heures au départ de Palau (33 km à l'ouest de Porto Cervo) : 10,40 € l'aller-retour pour le passage de la voiture et 3,20 € par passager.