Il faut avoir les nerfs solides pour supporter Salzbourg et le fait que Mozart soit de cette ville. Le compositeur poudré en jaquette rouge est partout, en boules au chocolat, en marionnettes, en porte-clés, en tee-shirts, en biberons, en figurines de cire, en saucisses en forme de violon. Mozart est à vendre à tous les coins de rue, au point que Salzbourg tout entière ressemble à un Mozartworld, à la Disney. Impression confirmée par les chiffres : 500 millions d’euros, le quart du budget de la ville, proviennent des recettes du tourisme (musées, hôtellerie, guides…), un secteur qui emploie 7 000 des 144 000 habitants du cru. Chaque année, ce sont un peu plus de 6 millions de touristes qui se pressent devant la maison de naissance du génial compositeur et dans les confiseries vendant des Mozartkugeln, ces bouchées faites de pâte d’amande, de pistache et de chocolat, créées en 1891, pour le centenaire de la mort du musicien.
Cela fera plus de deux cent cinquante ans que Salzbourg vit grâce à Mozart, et elle a bien l’intention de continuer. Dans la petite ville, tout est prêt pour fêter l’illustre compositeur.
Le petit palais des festivals a été entièrement restauré, tout comme l’université de musique, le Mozarteum. Un nouveau musée a déjà été inauguré il y a quelques années : le Miracle’s Wax Museum, situé en plein centre de Salzbourg. Financé à hauteur de 5 millions d’euros par un homme d’affaires d’origine irakienne, Haythem Al Wazzan, propriétaire du plus grand hôtel de Salzbourg et de nombreux magasins de mobilier et de textile, c’est le premier musée de cire d’Autriche. Le thème : Un jour dans la vie salzbourgeoise au xviiie siècle. Le visiteur passe dans la rue principale, voit les activités quotidiennes, rencontre Mozart lors d’un dîner mondain.
Symphonies commerciales
A l’intérieur du musée, l’inévitable boutique, regorgeant de babioles à l’effigie de Mozart. La plupart viennent de Mozartland, une filiale de la plus grande brasserie de Salzbourg, Stieglbräu. Avec 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, c’est l’une des grandes réussites du pays, et l’une des plus anciennes, puisqu’elle a 500 ans. Nannerl, la sœur aînée de Mozart, aurait d’ailleurs écrit dans son journal intime que son frère avait bu de la Stiegl lors d’une soirée entre amis. Un signe qui ne trompe pas, a décidé le docteur Heinrich Kiener, propriétaire de l’entreprise encore à 100 % familiale. C’est ainsi qu’en 1991, lors du bicentenaire de la mort de Mozart, Stiegl a créé Mozartland, dont les résultats sont soigneusement tenus secrets. Une bière Mozart a été lancée, ainsi que toute une gamme textile et des bibelots facilement transportables. Mozart apparaît bien sûr partout, caricaturé en héros de manga, rollers aux pieds et violon à la main.
Mozart est une vedette internationale : la rumeur court, en Autriche, qu’il y a davantage de Chinois à connaître le nom de Mozart que celui de leur président. Alpenmilch, l’une des plus grandes productrices de produits laitiers en Autriche avec 90 millions d’euros de chiffre d’affaires, en a donc fait son fer de lance. « Notre développement passe par l’international. Mais comment nous différencier ? En utilisant Mozart ! C’est un ouvreur de portes exceptionnel » , explique la direction du marketing. Deux nouveaux produits ont été lancés : un Mozart-Jogurt et un Mozart-Dessert. Le goût – chocolat, pistache, pâte d’amande – est le même que celui de la Mozartkugel traditionnelle. L’emballage rappelle étrangement celui de la Mozartkugel produite par Mirabell, une filiale de Kraft Foods, qui en écoule 90 millions par an. « Kraft Food nous a autorisés à copier leur emballage. Avec nos produits, nous complétons la panoplie du touriste. » En trois mois, 1,2 million de Mozart-Dessert et Jogurt ont été écoulés auprès d’un public enthousiaste. Et désormais ces deux produits sont mis en avant auprès des chaînes de distribution à l’étranger : l’entreprise est en négociations dans toute l’Europe de l’Est et au Benelux, avec plusieurs chaînes, dont des françaises, comme Leclerc, en Slovénie . « Nous arrivons avec Mozart, et remplissons les rayons avec nos produits traditionnels ensuite.»
Dissonances
C’est exactement la logique inverse qui anime le patron des quatre confiseries du même nom, à Salzbourg. La moitié de ses 3 millions d’euros de chiffre d’affaires est assurée par sa Echte Mozartkugel (véritable Mozartkugel ). « Nous ne voulons surtout pas exporter. Nous représentons quelque chose que les gens ne trouvent qu’ici. C’est ce qui fait notre renommée. » Le haut de gamme le pousse à refuser toute publicité : « Nous sommes si anciens dans le métier que nous n’en avons pas besoin. Et, surtout, nous n’avons rien à voir avec tous les autres producteurs de Mozart-souvenirs. »
Il est très tentant, à Salzbourg, de rejeter Mozart. Mais même ceux qui haïssent le plus son utilisation commerciale ne peuvent s’empêcher de tomber dans le piège.
Auberges de jeunesse Salzbourg