Dans le taxi rouge, la radio annonce: «Retraité, né en 1936, célibataire, bons revenus, ayant le sens des valeurs, propriétaire d’un F4, cherche femme de moins de 50 ans, mesurant plus de 1,55 mètre, plutôt jolie, résidant à Pékin, ayant au moins le bac, née sous le signe du singe ou du coq et originaire du sud-est de la ville…» Derrière la vitre, des étals proposent des fleurs en plastique au milieu d’une fièvre bétonnière saturée d’automobiles. Un homme fait la sieste dans le tintamarre, couché sur son cyclo-pousse. Passent des troupes sur le pont du Lingot-d’Argent qui sépare le lac Qianhai du lac Houhai. Leurs pas résonnent sur le pavé gris. Un peu plus loin, sur le quatrième périphérique, un panneau à l’américaine pour la compagnie pétrolière chinoise indique: «Recherchons la meilleure qualité pour créer ensemble le ciel bleu du siècle.»
Pékin bouillonne. On récupère, on rafistole, on détruit le vieux pour reconstruire du neuf. Il faut plaire, innover, être branché. Les maîtres du business, qui ont réussi à se faire une place au soleil du xxie siècle, se font construire des villas dignes de Beverly Hills, alors que toute une jeunesse iconoclaste fait craquer les tabous confucéens. D’abord par l’art et la musique: on se trémousse aux sons des nouveaux DJ’s lors de la rave annuelle sur la Grande Muraille, on s’agite dans des concerts rock pour hurluberlus underground, fans de Pink Floyd ou Depeche mode, dans des happenings multimédias au fond d’un ancien abri atomique ou dans des festivals de courts-métrages expérimentaux.
En ce mardi soir, la couronne de lumière du grand hôtel Beijing, à deux pas de la place Tianan men, tourne dans des clignotements d’or. Au bar, la serveuse coupe des rondelles de citron vert pendant que la hi-fi crache les vocalises d’une Britney Spears qui s’égosille. Sun Chuan arrive, le regard timide, le sourire de biais. Il est peintre, a enseigné l’art dans une école minière du Henan, et vient de réaliser un reportage photographique sur ces travailleurs dont il a partagé la vie. Il vit aujourd’hui à Tongxian, village d’artistes à l’extérieur de la capitale. Au total, plus d’une centaine de peintres, sculpteurs, photographes d’avant-garde, certains réputés internationalement comme Zhang Xiaogang ou Gu Wanda, d’autres parfaitement inconnus, ont installé leurs ateliers dans cette bourgade. D’autres, plus jeunes, ont investi des usines désaffectées de la banlieue est. Aujourd’hui, des galeries étrangères commencent à les exposer en Chine. Et l’on retrouve certains d’entre eux à la très officielle Biennale de Shanghai, dans des expositions sauvages que les autorités tolèrent, mais aussi à Paris ou à New York. «Ce qui caractérise la nouvelle génération d’artistes, c’est ce mélange Est-Ouest que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde. Les changements sont si rapides que la culture n’arrive pas à suivre, ce qui fait que les artistes prennent une distance remarquable par rapport aux événements», explique l’Australien Brian Wall, directeur d’un des espaces d’art contemporain les plus en vue, la Red Gate Gallery.
Nés à la fin de la Révolution culturelle, nourris des influences occidentales qui ont franchi la Grande Muraille, ces jeunes artistes qui font souffler le vent alternatif local se montrent plus ouverts que leurs aînés, mais plus perdus aussi. S’avouent souvent déboussolés dans un environnement où les rapports humains s’avèrent de plus en plus complexes. Entre l’Est et l’Ouest, ils peinent à trouver leur identité, à réellement innover quand ils s’attaquent aux tabous de la société. Installations macabres, performances, sexe, drogue et rock sont en tête, avec une dose de provoc qui, ailleurs, s’est émoussée depuis des lustres.
D’autres décortiquent avec plus de subtilité les excès de la société chinoise actuelle ou la violence des mutations sociales. Dans son vaste atelier de la banlieue nord de Pékin, Aniwar , cheveux longs et physique de guerrier mandchou, n’hésite pas, dans ses toiles abstraites, à tourner en dérision la vie urbaine en peignant sur des affiches de pub. Sens de l’ironie et de l’allusion chez le jeune photographe Wang Qing, qui porte un regard acéré sur l’explosion des marques occidentales dont ne peut profiter qu’une minorité. Zhang Dali, lui, condamne les changements de Pékin. Et grave clandestinement sur les vieux hutongs destinés à être rasés, le sigle AK-47, symbole de la Kalashnikov. Ses dernières créations sont une sélection de visages de mingongs, ces travailleurs migrants des banlieues grises venus chercher dans la grande ville de quoi nourrir leur famille restée à la campagne.
Mais si certains se font courtiser par les collectionneurs, leurs œuvres restent accessibles à un public restreint et leur démarche intellectuelle reste à mille lieues de la compréhension de leurs concitoyens. Tel ce nouveau chantier baptisé «la Commune», qui a vu éclore au pied de la Grande Muraille une dizaine de villas à louer dans le plus pur style design, conçues par des architectes asiatiques.
La capitale se réinvente, opulent mirage où le capitalisme chinois croise la misère la plus noire, mais où l’on entrevoit des formes de liberté en germe et quelques lignes de fuite. A demain, Pékin!
Pékin Pratique :
Auberges de jeunesse Pékin
Vol direct quotidien à partir de 713 euros aller-retour, Air France, 0820-820-820. 4 vols hebdomadaires via Vienne à partir de 494 e, Austrian Airlines, 0820-816-816. 3 vols hebdomadaires, à partir de 610 , Air China, 01-42-66-16-58. De nombreuses formules de séjours à la découverte de Pékin sont proposées par les voyagistes. Exemple, avec Asia, «Escapade à Pékin», à partir de 650 e (incluant vols, hébergement et petit déjeuner pour 5 nuits), 01-44-41-50-10 ou www.asia.fr
Meilleures saisons: printemps et automne.
Le Red Capital Club, bijou d’hôtel tendance rétro-Mao, niché dans une cour carrée, l’ancienne résidence d’un mandarin mandchou. 9, Dongsi Liutiao, Dongcheng District.
Le Yiyuan, aménagé dans une maison chinoise au mobilier traditionnel: excellentes spécialités cantonaises, sichuanaises et pékinoises. 99, Dongzhimennei Dajie, Dongcheng District. Liqun Roast Duck dans un hutong des vieux quartiers: délicieux canards laqués préparés au feu de bois. 11, Beixiangfeng, Zhengyi Road. Le Purple Vine, maison de thé à la décoration délirante. 2, Xincheng qunan Chang jie (Gu Gong Xi Men West). Quant aux adresses branchées, elles évoluent à un rythme vertigineux; elles sont situées surtout autour de Chaoyang Park et de la rue de Sanlitun.
La galerie The Courtyard, au pied de la Cité interdite. Au sous-sol, la galerie; au rez-de-chaussée, un bel espace pour déjeuner de «world food», 95, Donghuamen Dajie (Dongcheng district). La Red Gate Gallery, sur une des tours des anciens remparts, Dongbianmen Watchtower,Chongwenmen Dongdajie. Le marché aux puces de Hongqiao, à la porte nord du temple du Ciel.
«Pékin en poche», de Stéphanie Ollivier; «Pékin, scènes vues», de Roger Darrobers (Bleu de Chine); «Le Pousse-Pousse», de Lao She (Philippe Picquier).
.