Des canards sauvages prennent leur envol au raz de l'eau. Des joggeurs passent sur les berges encore désertes. Il est 10 heures. Une péniche chargée de sable troue la brume matinale qui s'effiloche mollement. Paris s'éveille sur la Seine. Sa "plus belle avenue", inscrite au patrimoine mondial de l'humanité.
Au fil du fleuve, la capitale se découvre comme un film en cinémascope, plus spectaculaire, plus édifiante encore que vue depuis le macadam. Pas besoin de se tordre le cou pour contempler la tour Eiffel, majestueuse et l'allure tranquille de la croisière laisse le temps d'admirer les deux horloges de la gare d'Orsay. Quant à Notre-Dame, elle paraît soudain plus flamboyante, plus intrigante, que depuis son parvis... Le Louvre, l'Assemblée nationale, la place de la Concorde, la Samaritaine, les quais et leurs bouquinistes défilent comme les pages d'un beau livre, sous les yeux inspirés ou curieux, des passagers du "Jeanne-Moreau", bateau-mouche des Bateaux Parisiens. Ce sont les seuls en cette heure matinale à s'accaparer le spectacle de la Seine.
De la proue à la poupe de l'embarcation, de simples chaises en plastique posées en file indienne. Le confort est sommaire. Qu'importe. La visite est si belle...Ici, sur la coulée bleue qui s'enroule autour des ponts, les croisiéristes remontent, une heure durant, le cours de l'histoire de France. La promenade est guidée, comme sur tous les bateaux-mouches. Sur le "Jeanne-Moreau", le commentaire est dit dans un combiné en autant de langues (ou presque) que de nationalités présentes à bord.
Ce matin-là, français, anglais et japonais sont de circonstance. Quelques passagers ont pris place sous la verrière. Dehors, une légère brise caresse les visages de touristes heureux d'écouter la môme Piaf, Yves Montand ou Joe Dassin distiller leurs chansons (c'est aussi une exclusivité des Bateaux Parisiens). Un couple de Japonais reprend en coeur le refrain de "La vie en rose", une dame d'un âge vénérable fredonne "J'aimerai toujours le temps des cerises", Aux Champs-Élysées fait le bonheur d'un petit groupe de provinciaux... Mais le Paris des guides touristiques l'emporte sur une découverte authentique.
Tout aussi synthétique, le discours est moins simpliste avec la Compagnie des bateaux-mouches qui choisit de conter les grandes heures de l'histoire politique de la ville. Quant aux Vedettes du Pont-Neuf, peut-être parce qu'elles sont amarrées à l'orée de l'île de la Cité, elles racontent les grands hommes, leur vie, leurs talents. Mais nul n'échappe au commentaire, qui résonne dans un haut-parleur. On voudrait couper le son. Oublier les passagers trop nombreux, trop bruyants. Surtout lorsqu'il fait nuit et que la croisière révèle le charme mystérieux de la capitale aux ombres et lumières diffuses dans l'onde sombre, juste éclairée par les ponts illuminés.
On voudrait naviguer sur le "Don-Juan II", un des Yachts de Paris amarrés au quai Henri-IV, avec Notre-Dame en toile de fond. Ce n'est pas un bateau-mouche, mais un véritable yacht de mer, un navire de prestige où l'on embarque pour une croisière gastronomique. Il n'y a pas, pourtant, de cuisine traditionnelle à bord
Moment hors du temps, dans cette salle à manger au décor feutré de toiles figurant le quai Henri-IV, de moquettes épaisses, de bronzes et d'acajou. Entre deux plats, les convives quittent la table (ici, rien de mal élevé), pour s'enivrer, sur le pont supérieur, de la magie de l'eau. La croisière s'achève et l'on pense à Prévert : "C'est pas un fleuve, la Seine. C'est l'amour en personne. C'est ma petite rivière à moi. Mon petit tour du monde. Les vacances de ma vie..." Au loin, croisent les derniers bateaux-mouches.
Trois compagnies principales assurent les croisières promenades sur la Seine. Elles durent environ
1 h 10. Une quatrième fait naviguer, en soirée seulement, de vrais yachts.
Les Bateaux Parisiens
La flotte, composée de trois trimarans vitrés de 600 places chacun, est positionnée quai de la Bourdonnais, au pied de la tour Eiffel. Avec un premier départ à 10 h du matin (puis, toutes les demi-heures), même hors saison touristique, c'est la compagnie la plus matinale. Noter que cette société propose également des excursions à thème, comme la "Croisière enchantée, le monde magique de Paris raconté aux enfants", jusqu'au 29 juin.
Le plus : à bord, un distributeur de boissons fraîches et des sanitaires.
Le moins : le photographe qui mitraille à l'embarquement.
. Métro Trocadéro. Tél. : 01.44.11.33.44 et
La Compagnie des bateaux-mouches
L'historique société est installée au pied du pont de l'Alma. L'embarcadère est indiqué dès la sortie du métro Alma-Marceau, sur le quai, en queue de train. C'est la croisière la plus touristique, avec deux millions de voyageurs par an. Le quai d'où les bateaux appareillent ressemble à une fête foraine.
Le plus : les sièges du pont vitré inférieur, confortables "comme au cinéma" avec écran télé pour suivre le parcours de la croisière ; et les sanitaires.
Le moins : l'absence d'accueil à l'embarquement, les sièges de plastique au confort plus qu'aléatoire sur le pont supérieur.
. Tél. : 01.42.25.96.10
Les Yachts de Paris
Cette compagnie ne compte aucun bateau-mouche mais quatre yachts de mer, des navires enchanteurs amarrés à l'orée du Marais, quai Henri-IV. Excellentes croisières aux parcours à nul autre pareils. Dommage qu'ils n'appareillent que le soir. Le dîner est une condition sine qua none à cette découverte. Il fait partie du concept. Naviguer sur le site Internet de la société en donne une belle idée. Certes, la note est salée - 149 € par personne le dîner-croisière -, mais on y vit un moment rare.
Le plus : l'accueil de l'équipage en costume, le service attentionné, le cadre intimiste.
Le moins : ne pas pouvoir dîner sur le pont extérieur à la belle étoile.
Tél. : 01.44.54.14.70
Les Vedettes du Pont-Neuf
Devant le square du Vert-Galant. Les bateaux sont visibles depuis la sortie du métro Pont-Neuf. Ce sont les seuls installés dans le Paris historique. Trois bateaux composent la flotte. Par beau temps, éviter l'"Europa", qui compte peu de places extérieures. Surtout, le moteur, à l'arrière, couvre le commentaire diffusé par haut-parleur.
Le plus : le sérieux de la visite, la réduction de 2 € sur l'achat d'un billet via le site Internet de la compagnie.
Le moins : l'absence de sanitaire, les fleurs artificielles très kitch en guise de décoration, l'absence de tarifs sur le site Internet.
Tél. : 01.46.33.98.38
Et aussi... Les Batobus, huit escales pour accéder aux portes des quartiers le plus en vogue de la capitale Tél. : 01.44.11.33.99
Les Vedettes de Paris organisent des excursions thématiques comme la "croisière de bacchus", avec visite du Musée du vin. Tél.: 01</I>.44.18.08.03
Histoire d'un nom
D'où vient cette curieuse appellation des bateaux-mouches ? Oubliez, il s'agit d'un canular, le prétendu fondateur, Jean-Sébastien Mouche. Le mot vient d'un quartier de Lyon, La Mouche, où furent construites les premières embarcations de la Compagnie des bateaux-omnibus, alias bateaux-mouches. C'était en 1862. Quatre ans plus tard, à l'occasion de l'Exposition universelle, l'un des fondateurs de la société lyonnaise, Émile Plasson, allait remporter un concours de la Ville de Paris sur sa desserte fluviale, avec un bateau à hélice adapté au lit régulier de la Seine. Il obtint la concession d'exploitation. La Compagnie des bateaux-mouches parisiens était née.
Quelques photos de PARIS