Bergen fut la ville natale d'Edvard Grieg, le fameux compositeur du Concerto pour piano en la mineur et de la musique de scène de Peer Gynt. «La beauté naturelle de ce pays, la vie de son peuple, les hauts faits et les activités multiples de la ville m'ont servi de source d'inspiration», confiait le musicien à ses amis venus célébrer, en 1903, ses 60 ans. «Je trouve l'odeur du quai Allemand très excitante; en fait, je suis certain que ma musique sent le poisson», précisait-il. Ce quai est toujours là, avec son actif marché aux poissons, ses maisons hanséatiques du XIVe siècle, ses navires de plaisance modernes et ses paquebots qui invitent à l'évasion.
C'est par le quai que débute la prise de contact avec la capitale de la côte ouest norvégienne, histoire de s'imprégner de l'ambiance si particulière d'une ville portuaire à laquelle Grieg a voué un amour passionné. Tous les jours, excepté le dimanche, le marché aux poissons offre aux regards gourmands ses étals appétissants, où crevettes roses et homards rouges rivalisent de couleurs avec d'autres crustacés et fruits de mer. Les spécialités les plus recherchées, cependant, restent le saumon d'élevage à la délicate chair rosée, dont la Norvège est le premier producteur mondial, à goûter sous forme de sandwich, et la morue, que les habitants de Bergen dégustent en soupe onctueuse à la crème fraîche.
La morue a fortement contribué, jusqu'au XVIIIe siècle, à l'enrichissement de la cité, et plus précisément à celui des commerçants allemands, membres de la toute-puissante Ligue hanséatique, qui regroupait les cités marchandes de la Baltique et de la mer du Nord. Pêché en hiver dans les eaux septentrionales, puis séché dans les îles Lofoten et à Kristiansund, le précieux poisson était convoyé, au printemps, vers Bergen, pour y être conservé dans du sel importé de La Rochelle, avant d'être exporté vers le reste de l'Europe. Une activité si fructueuse - en 1650, quelque 6 000 tonnes furent vendues - que la colonie germanique, forte d'un millier d'hommes, devint peu à peu un Etat dans l'Etat doté du rare privilège royal de commercer à l'intérieur même des villes norvégiennes.
Symbole de cette richesse insolente: le quartier du Bryggen, qui se trouve à proximité du marché aux poissons, baptisé jadis Tyskebryggen («quai des Allemands»). Il s'enorgueillit aujourd'hui de ses anciens entrepôts-résidences construits sur pilotis, à hauts pignons triangulaires d'où pendaient des poulies destinées au déchargement des marchandises. L'un d'eux, transformé en Musée hanséatique, conserve encore au rez-de-chaussée, où l'on préparait la morue séchée, cette forte odeur de poisson qui excitait tant Edvard Grieg. Les boiseries sombres de la demeure s'accordaient avec la vie austère menée par une communauté d'hommes qui, laissant femmes et enfants en Allemagne, mettaient jusqu'à cinquante jours pour effectuer la traversée depuis le port de Lübeck, siège de la Hanse, jusqu'à leur comptoir de Bergen, accompagnés de gardes armés jusqu'aux dents par crainte des pirates. Ces expatriés pressés et âpres en affaires vivaient sur le lieu même de leur travail, dans les étages supérieurs, d'où ils pouvaient surveiller le va-et-vient des marchandises.
Mais les temps ont changé et, à l'ère du pétrole, les entrepôts aux façades en bois coloré, restaurés et désormais classés au patrimoine mondial de l'Unesco, se sont transformés en lieux dédiés aux loisirs. Entre les magasins de vêtements, les boutiques d'artisanat et les restaurants gastronomiques, le visiteur trouvera son bonheur. Le soir venu, dans les bars environnants envahis par la jeunesse locale, il réinventera le monde avec elle, une bière ou un aquavit en main.
Bergen procure aussi d'autres plaisirs. Car la ville, bâtie sur sept collines dont la vedette incontestée est le mont Ulriken, qui domine ses voisines de ses 642 mètres, met à votre disposition des belvédères panoramiques spectaculaires. Cependant, le mont Floyen, accessible par un funiculaire, offre le meilleur point de vue; au sommet, on appréhende mieux la beauté de cette cité qui respire la joie de vivre. Joie qui s'exprime à travers son hymne local, composé sur une musique empruntée à Lully et fredonné lors de la fête nationale du 17 mai: «J'ai pris ma cithare que je venais d'accorder, mon chagrin m'a quitté sur le sommet du mont Ulriken, j'ai allumé des torches pour appeler les forces armées contre l'ennemi.» Ces paroles patriotiques pourraient surprendre l'étranger de passage. Les connaisseurs, eux, savent que Bergen fut, au XIIIe sièècle, la capitale d'une Norvège unifiée en un seul royaume, après bien des péripéties sanglantes, puis l'un des foyers les plus actifs du mouvement nationaliste du XIXe siècle qui, en 1905, a donné au pays son indépendance, après les tutelles danoise et suédoise. Les grands animateurs de cette fièvre révolutionnaire furent Edvard Grieg ainsi que ses amis, le célèbre violoniste Ole Bull et le tout aussi talentueux dramaturge Henrik Ibsen.
Grieg, surtout, reste l'enfant chéri de Bergen. La cité lui rend hommage chaque année à Troldhaugen, dans sa charmante maison jaune poussin, qu'il a fait édifier sur une colline surplombant un fjord enchanteur des environs de Bergen. Initié par sa mère à la musique, puis découvert par Ole Bull lorsqu'il n'avait que 15 ans, l'artiste prometteur s'était perfectionné au conservatoire de Leipzig. A 25 ans, son Concerto pour piano le révéla à son peuple: alors que son pays faisait partie du royaume de Danemark, sa recherche d'un style musical inspiré des traditions nationales exacerbait le patriotisme norvégien. Homme de principes, il refusa de se produire à Paris au moment de l'affaire Dreyfus; il finira par le faire après le jugement, sous les huées des antidreyfusards. A Troldhaugen, avec sa femme, Nina, cantatrice danoise, pour qui il avait composé de nombreuses chansons, il régalait leurs amis durant les belles soirées d'été. Une magie qui perdure de nos jours, grâce aux récitals programmés dans une salle de concert moderne construite à proximité de la maison. Avec un peu d'imagination, on est vite transporté dans l'univers mystérieux des fjords aux eaux bleutées, enchâssés dans des montagnes vert sapin habitées par des trolls malicieux. Vous trouverez de nombreuses auberges de jeunesse à Bergen.