Rien de tel qu’un bon acronyme : Dumbo (Down Under the Manhattan Bridge Overpass, en français : sous la bretelle du pont de Manhattan) est, avec Williams-burg un peu plus loin, la nouvelle Mecque branchée de New York, comme naguère Soho ou Tribeca.
Pourquoi ces anciens docks de l’East River, entre les ponts de Manhattan et de Brooklyn et au-delà, terrains vagues piquetés d’ateliers désaffectés, transformés depuis peu en galeries ou en lofts, sont-ils la coqueluche des promoteurs ? La réponse est de l’autre côté de la rivière. De Dumbo, la silhouette des gratte-ciel de Manhattan, avec au premier plan la crénelure de Wall Street, coupe le souffle. Les habitués du River Café, blotti au pied d’une pile du pont de Brooklyn, connaissent bien cette vue. Tout comme les privilégiés du quartier de Brooklyn Heights, dont les maisons bleues, rouges ou jaunes donnent directement sur la skyline, sans le bruit, la trépidation et le stress de Downtown.
Mais ces Hauts de Brooklyn, où il faut des « seaux de dollars » pour s’offrir une brownstone, avec, parfois, derrière, un jardin secret, sont une exception. Banlieusarde, naguère réputée provinciale à cause de ses petites maisons à étages, Brooklyn est de prime abord un univers plat, monotone. Sillonnez ses rues, ses parcs et ses quais : vous découvrez un monde foisonnant, bigarré, où 93 ethnies rivalisent de créativité pour ravir à Manhattan son rôle de phare. Avec ses 2,5 millions d’habitants qui feraient de ce borough (arrondissement), rattaché à la ville il y a cent ans, la quatrième métropole des Etats-Unis, Brooklyn a une superficie quatre fois supérieure à celle de Manhattan. Les créateurs, qui ont besoin d’espace à des prix abordables, y voient une bonne raison de traverser le pont, faisant du quartier la nouvelle capitale artistique de la côte Est. Le rayonnement de la Brooklyn Academy of Music (BAM), transformée par son directeur en terre d’accueil des meilleures avant-gardes conforte leur choix. Avec une préférence marquée pour Williamsburg.
« L’endroit offre tout ce dont peut rêver un créateur : espace, silence, échanges avec d’autres communautés artistiques, d’autres disciplines, sans parler d’un public cosmopolite et enthousiaste : Latinos, Asiatiques, Polonais et, au loin, des couchers de soleil somptueux entre les tours du World Trade », explique Colin qui est cofondateur des Flying Machines, un groupe théâtral qui marie avec bonheur cirque, mime et comédie. Avec trois autres artistes (un acteur, un cinéaste, un vidéodesigner), il habite Maujer Street, à une encablure de Galapagos, qui est à la fois leur salle de répétition et une des plus étonnantes boîtes du quartier. Avec sa salle de projection et son bassin-miroir, cette ancienne fabrique de mayonnaise est le point nodal du district.
Si Williamsburg est l’épicentre de la communauté artistique, Fort Greene est sa base logistique. « Avec sa police omniprésente et sa politique de gentrification, le maire a tué Manhattan, raconte Charles , un Martiniquais qui tient sur South Portland le Lafayette, rendez-vous des top models (Rosie Perez), poètes (Karl Hancox) et autres branchés. Ce qu’apprécient ceux qui ont traversé le pont, c’est le mélange des gens du coin et des artistes. » La recette du New Brooklyn..