
Stockholm, la Suède à fleur d'eau
Stockholm, «la Venise du Nord», Oslo, fondée en l'an 1000, et Helsinki «la fille de la Baltique», les trois capitales rivalisent de beauté et de charme à l'heure du soleil de minuit.
A Stockholm, la question reste sans réponse. Est-ce la ville qui est sur la mer ou la mer qui est dans la ville ?
Éclatée entre quatorze îles et une multitude d'îlots, la capitale de la Suède mérite évidemment son surnom de «Venise du Nord». A condition de ne pas conclure de ce rapprochement que sa soeur latine lui serait supérieure. Pour les visiteurs venus de l'Europe du sud, Stockholm est trop étrange pour que la comparaison ne tourne pas aussitôt à la caricature. Les deux cités sont sorties des eaux. Mais, à l'inverse de Venise, jouissant de sa nostalgie du passé, Stockholm ne veut surtout pas se protéger de l'avenir. Dans une heureuse schizophrénie, Stockholm vit sa vieille histoire au diapason des disciplines de la mondialisation.
Dans Gamlan Stan, la petite île qui fut à l'origine de ce qui est aujourd'hui une métropole de 700 000 habitants, on remonte le temps quand on descend la ruelle pavée de Brända Tomte. Sous la lumière tremblante des lampadaires, on s'attend à voir surgir une sorcière à chapeau pointu, suivie de sa meute de trolls rieurs. Mais au coeur du quartier de Norrmalm, la bibliothèque nationale bâtie tout en rond par Gunnar Asplund en 1928, est le plus bel exemple de l'école fonctionnaliste. En rejetant ainsi l'architecture traditionnelle au nom de la rationalité, la Suède inventa le design.
Dominant la minuscule place de Kindstragatan, avec ses cinq bancs de bois autour d'un marronnier, l'église allemande Sainte-Gertrude rappelle qu'au XVIIe siècle les Allemands étaient si nombreux que le roi Charles IX leur permit de créer leur propre paroisse. Mais, contraste absolu avec ce monument baroque, le restaurant Bon Lloc sur l'île de Södermalm démontre le don d'adaptation de la Suède. Longtemps limitée à une diète de poissons-pommes de terre et gibier-pommes de terre, elle a su imaginer une gastronomie qui fait la synthèse des produits scandinaves et des cuisines latines. Au point que son chef, Mathisa Dahlgren, a remporté un bocuse d'or.
Les austères luthériens de Stockholm ne remettent plus les joies de l'existence à leur arrivée dans l'au-delà. Ils se hâtent de faire la tournée des Krogs, ces bars qui, comme alibi à la consommation excessive d'alcool, sont obligés par la loi de servir aussi à manger. Les habitants de Stockholm ne sont pas moins nombreux à se presser dans des bistros qui eux ne servent que du fika. Ce café dont les Suédois sont les plus gros consommateurs du monde (10 kg par an et par tête), avec plus de quatre tasses par jour alors que même les Italiens n'arrivent pas à deux.
Quant aux hôtels et auberges de jeunesse, ils ont un penchant certain pour la fantaisie. Jusqu'au XIXe siècle, le Langholmen était une prison et ses chambres d'anciennes cellules. Il y a aussi des bateaux déguisés en hôtels comme le trois-mâts Flaggmansvagen qui date de 1888. Ou des hôtels déguisés en bateaux. Par exemple, le Victory : inspiré du navire de Nelson, ses chambres sont des cabines.
Dans cet aller et retour permanent entre l'héritage et la modernité, le Musée Vasa est une autre preuve des capacités de reconversion de Stockholm. La ville a consacré un musée, qui est une véritable usine high-tech, à un bateau de bois qui coula en 1628, le jour de son voyage inaugural. Long de 70 mètres et si haut que ses mâts percent le toit du musée, le Vasa est enfermé dans un cocon de six étages dont chacun est un mini-musée : la vie à bord, les guerres de la Baltique, la Suède du XVII Flaggmansvâgen siècle. L'éclairage et l'humidité sont constamment surveillés par des mouchards électroniques pour éviter que, repêchée après trois siècles passés par 30 mètres de fond, cette superbe relique ne tombe soudain en poussière. Devant des batteries d'ordinateurs alignés sous la quille, les visiteurs peuvent s'initier aux techniques de la construction navale de l'époque.
Stockholm est l'exemple même d'un métissage réussi. La lumière du Nord se fait plus vive quand elle baigne les teintes pastel d'une ville qui soudain ressemble à l'Italie. A Gamla Stan, les façades du XVIIe sont ocres, celles du XVIIIe tirent sur la jonquille. A Kungsholmen, un quartier plus récent, la couleur est plutôt azur ou émeraude.
Dans ce pays qui, vers 1860, vit le tiers de sa population émigrer aux États-Unis pour fuir la misère, il y a aujourd'hui un million et demi de citoyens d'origine étrangère pour neuf millions d'habitants. Ce qui explique l'ambiance cosmopolite de Stockholm : les chauffeurs de taxi éthiopiens, les bouis-bouis indiens, les librairies multilingues... L'exem ple vient de haut. La reine Sophie est une Allemande du Brésil et l'homme qui releva la dynastie en 1810 fut un des maréchaux de Napoléon, Jean-Baptiste Bernadotte. Marié à l'ancienne fiancée de Bonaparte, Désirée Clary, ce roi de Suède sorti du ruisseau avait dû ses premiers succès à une prestance qui lui avait valu le surnom de «Sergent Belle-Jambe».
Paradoxalement, la plus grande différence entre Venise et Stockholm, c'est l'usage que ces deux villes font de leur univers liquide. Dans la première, le but est d'abord utilitaire. Dans la seconde, c'est le plaisir. Entre la mer Baltique et le lac Mälaren, tout est permis. La pêche au saumon du haut des 52 ponts de la ville et la natation dans les baies innombrables car, contrairement aux canaux de Venise, la pollution a été vaincue. On pratique le patin à glace l'hiver et la voile l'été puisqu'un habitant sur trois est propriétaire d'un bateau.
Mais Stockholm a un dernier avantage sur Venise. Parce qu'elle compte trois fois plus de verdure que d'hectares de béton, elle réalise le rêve dont Alphonse Allais plaisantait. C'est une ville qui a été bâtie à la campagne.