Dès leur atterrissage à Malé, une quinzaine de passagers, heureux d'être aux Maldives, sont priés d'embarquer sur un hydravion amarré à proximité de l'aérogare. Après le décollage du Twin Otter, la splendeur de l'océan Indien émerveille d'emblée les visiteurs. Apparaissent les premiers atolu, cercles magiques turquoise cernés par une eau émeraude et par l'azur du ciel. Les couleurs sont si intenses qu'on prendrait presque ces îles pour des images oniriques. Atolu, atoll: c'est l'unique mot divehi, le maldivien, qui soit passé, dit-on, dans toutes les langues de la planète. Un atolu désigne un collier d'îles ou d'îlots ayant surgi de l'eau sur une superficie pouvant atteindre 1 000 kilomètres carrés. Ici, générosité de la nature, 1 190 de ces îlots coralliens s'éparpillent sur 300 kilomètres carrés. Chacun est entouré d'une barrière de corail, ces barrières successives formant comme un aquarium géant. Pour les passagers, c'est trente-cinq minutes d'admiration aérienne avant d'atterrir sur un resort.
Le resort, ou station balnéaire, c'est, aux Maldives, une île-hôtel. Il en existe 150. Le tourisme n'a pourtant démarré, ici, que dans les années 70. A l'époque, plongeurs et surfeurs débarquaient avec leurs sacs à dos. Ils se contentaient de huttes avec douche à l'eau de mer, dans des villages de pêcheurs aménagés - il y en a encore, rassurez vous. Vous aurez toujours l'option de loger dans ces huttes. C'est ainsi que j'ai pu visiter cette partie du globe.
Sinon, pour le reste, les établissements de luxe sont apparus, eux, depuis une dizaine d' annees. Le gouvernement maldivien désigne les îles qui peuvent être aménagées et propose un bail renouvelable de vingt ans. A la suite d'enchères sous enveloppe fermée, le plus offrant obtient l'île. 14 îles environ ont été mises aux enchères et seulement 9 contrats ont été attribués. Certains hommes d'affaires maldiviens, qui accueillaient simplement les touristes à l'aéroport voilà quelques années, en possèdent désormais plusieurs. A Malé, capitale d'une jeune république islamique au parfum d'ancien sultanat, l'ostentation n'est cependant pas de mise. Sur ces propriétaires croyants, à part une Rolex, rien ne se voit. Toute île-hôtel doit d'ailleurs posséder sa mosquée où le personnel vénère Allah et son prophète, comme il convient.
No shoes, no news _ ni chaussures ni journaux: pieds nus sur le sable blanc, le visiteur ne perçoit que la sensualité tropicale et la pureté lisse de cet océan dans lequel il plonge sans cesse, ébloui. Le farniente local exige cependant une organisation féroce, main de fer dans un gant de velours. Comme les autres resorts, Dunikolu, île de l'atoll Baa qui abrite le Coco Palms, est gérée comme un paquebot de luxe, avec 200 employés pour 100 chambres.
Si certains complexes hôteliers ne se soucient aucunement de leur environnement, ailleurs, comme à Dunikolu, l'environnement est une préoccupation majeure: la lessive est biologique, et le visiteur prié de remporter ses batteries usagées. Générateurs Diesel géants, production de 8 300 litres d'eau désalinisée à l'heure: la clientèle n'a pas besoin d'économiser l'air conditionné et les douches. L'eau, recyclée, sert aux WC et à l'arrosage des plantes. Le style recherché des bungalows impose une tendance néo-zen. Partout règne le bruit de la mer, délicieusement obsédant. La végétation est abondante, les cocotiers n'ont pas été abattus. De minuscules melons d'eau, rayés et savoureux, émergent au milieu des ronces.
Le bar en teck, abrité par des parasols blancs, offre une vue imprenable. L'un des serveurs est sri lankais de confession chrétienne. Moustache et front dégarni, Joseph songe à sa future maison en gagnant, ici, le double de chez lui: «Voilà pourquoi je reste au bar de 10 heures du matin à 3 heures du matin avec les autres serveurs, deux Bangladeshis, un Indien et un Maldivien. L'anglais est notre langue commune. Mes quatre jours de repos par mois, je ne les utilise pas. Ici, je ne dépense rien. Mais, à rester dans la chambre, je pense trop, je préfère travailler, pour les pourboires. Je verrai ma femme et mes enfants en mai prochain, à la fin de la saison, quand je prendrai mes semaines de congé...»
A chacun ses rêves. En attendant, solitude. Direction et employés parviennent ensemble, tant bien que mal, à créer un univers voluptueux. Cachée au centre de l'île dans la zone technique, la mosquée ne se voit pas. C'est une épure d'île, sous-entendue vierge, mais où tout est contrôlé par ordinateur. Pour le visiteur, tout est beau: le bronzage, les plaisirs du corps, marcher, nager, plonger. Pas de voiture, des bateaux, des hydravions: la vie se transforme en jeu. Sur la plage, les bernard-l'ermite font leur bonhomme de chemin, les crabes émergent de leurs trous. Et 1 500 espèces de poissons nagent aux alentours, dont des requins-baleines ou des raies mantas, comme d'énormes oiseaux de cinq mètres d'envergure... Grâce aux plongées de nuit, on voit dormir les poissons tapis dans les coraux. La température de l'eau a grimpé de 4 degrés à cause du phénomène climatique el Niño, ce qui n'est pas sans modifier l'écosystème.
Une excursion en dhonie (barque de style maldivien) mène à Thulhaadhu, l'île voisine, qui abrite un village de pêcheurs: arbres à pain, bougainvillées, toits en tôle ondulée, chantier de construction de dhonies, rues sablées de poudre de corail. Les maisonnettes étaient autrefois faites de corail compressé. De nos jours, le gouvernement protège les coraux du pillage et en interdit l'usage. Résultat, on importe (cher) des briques en béton qui rendent les murs hideux. Des poissons sèchent partout. Depuis l'ouverture du Coco Palms, un complexe hôtelier, une poignée d'antennes paraboliques décorent les rues. Et quatre misérables magasins pour touristes, qui font aussi épicerie générale, ont ouvert leurs portes. Il y a deux ans, le village n'avait jamais accueilli d'étranger. Les touristes y sont encore considérés comme des invités pour lesquels les femmes se font belles, deux fois par semaine. Peaux cuivrées, sombres, ridées par l'âge, le labeur, le soleil. Ambiance amicale, où tout le monde regarde tout le monde, touristes et autochtones s'observent avec curiosité. Sur les 2 500 habitants, 600 sont des enfants. L'école primaire, objet de fierté, a son importance et les visiteurs ont l'autorisation d'en faire le tour.
Retour vers Dunikolu. Le soleil flamboie. S'allonger sur le pont du dhonie et respirer à fond. Tous semblent heureux, équipage et voyageurs. Un phare clignote déjà. Plus tard, la Croix du Sud scintillera. Youssoof, l'accompagnateur, chantonne en divehi: «Adé-adé-adé... feuba, fini, fini, foni, kuranda...» (Viens, viens, viens, viens... et partage avec moi une noix de coco fraîche et douce).