Des vagues se brisent sur le sable, un paquebot vogue au loin. En cette fin d'hiver baléare, le ciel est bleu, il fait un 22 °C de rêve: «Temps adorable, température délicieuse», écrivit George Sand dans Un hiver à Majorque. Après Andratx, à l'extrême sud-est de la sierra de Tramuntana, à près de 50 kilomètres de Palma, s'ouvre un paysage estupendo (formidable) de simplicité. Au premier plan, capucines, marguerites, asperges et fenouils sauvages. Des figuiers de Barbarie forment une haie, derrière laquelle s'épanouissent des orangers, quelques amandiers, des néfliers et une forêt de pins. Au-delà, sur des collines calcaires presque pelées, s'étend une garrigue de lentisques, thym, laurier, marjolaine, lavande... Un coq chante. Les oiseaux pépient.
Les rois de l'île: arbres fruitiers et oliviers
«En quelques minutes, le relief, la végétation, le mode de vie changent. Vous verrez!» souligne, avec enthousiasme, Catalina Sants, une enseignante majorquine. «En dépit de quelques constructions barbares, notre île reste un paradis. Les autocars ne circulent pas sur les corniches, des villages tranquilles se cachent sur nombre de chemins ne figurant pas sur les cartes. L'est et l'ouest sont différents. En prenant pour base un hôtel ou une ferme-auberge, on peut se reposer, marcher en pleine nature, nager. Tout le monde y trouve son bonheur...»
Le prix du bonheur? Les 50 kilomètres en lacet de la C 710, magnifique route qui longe la sierra de Tramuntana. A chaque virage, la Méditerranée scintille. La falaise, 200 mètres en à-pic, est ponctuée d'anciennes tours de guet destinées à prévenir la population d'irruptions ennemies, sarrasins ou chrétiens, selon le moment. En bord de mer, à une vingtaine de kilomètres d'Andratx, le village de Banyalbufar déroule ses terrasses sur lesquelles croissent des arbres fruitiers et des oliviers, autrefois les rois de l'île. Les demeures de pierre se composent «ordinairement de deux étages, avec un toit plat, dont le rebord avancé ombrage une galerie percée à jour, comme une rangée de créneaux que surmonterait un toit florentin», écrit encore George Sand. Bien avant Valldemossa, où se trouve la célèbre chartreuse, les fantômes de l'écrivain et de Frédéric Chopin se sont glissés sur la banquette arrière de la voiture.
Un peu plus au nord-ouest, Deia est perché à l'abri du vent du nord, protégé par la barrière du mont Teix (1 065 mètres). Le vert argent des oliviers et le dédale des ruelles bordées de maisons ocre rouge aux persiennes vertes y composent une harmonie particulière. Ce charme préservé, ainsi que l'accès difficile des calanques expliquent le succès du village auprès de générations d'écrivains, d'artistes et de stars cosmopolites. Une vraie colonie, dont, hier, le peintre Miro et l'écrivain britannique Robert Graves faisaient joyeusement partie. Le soleil chauffe le corps, met l'esprit en sommeil. Plus envie de bouger. Que faire? Flâner, rêver, lire George Sand ou, quand même, aller découvrir le charme du village voisin de Soller, de ses orangeraies et de ses criques pittoresques bordées de falaises?
Un je-ne-sais-quoi de français
Vers la fin du XIXe siècle, nombre de Majorquins ont dû émigrer vers Porto Rico ou Cuba. Ceux de Soller cabotaient plutôt vers Marseille, leurs cales remplies d'oranges. Ils vendaient les fruits, revenaient, repartaient, remontaient la vallée du Rhône et, parfois, s'installaient en France comme épiciers. Une fois enrichis, ces marchands se faisaient construire des maisons au pays. Voilà pourquoi, avec ses platanes et sa place, Soller a gardé un je-ne-sais-quoi de français.
La ferme-auberge de la famille Balitx D'Avall est enfouie au fond d'un vallon. Les terrasses en gradins sont plantées à perte de vue d'oliviers «noueux, tordus, bossus, qui ressemblent à des monstres fantastiques». Dans la cuisine, des plats en terre cuite pendent aux murs, des piments sèchent. Un chat noir miaule. «Lorsque j'étais petite, se souvient Maria, la fille de la maison, une soixantaine de personnes s'activaient en hiver dans nos oliveraies. Nous faisions du charbon de bois et nous cultivions des légumes pour les vendre au marché. Nous avions beaucoup de moutons, de cochons et une trentaine de truies. Aujourd'hui, il nous en reste deux ou trois, on cueille l'olive verte pour la table et le potager sert à la consommation familiale. Dans nos jardins, nous produisons des citrons et des oranges. Papa a gardé quelqu'un pour travailler la terre et maman, une fille, pour aider à la maison.»
Des bûches d'olivier et de pin rougeoient dans le foyer. La fumée s'échappe par un large trou à bien 15 mètres du sol. Une ampoule nue illumine les visages. La porte grince: entre Guillermo, le père de Maria; il montre avec fierté la vingtaine d'oeufs qu'il vient de ramasser. Déjeuner sur la table à carreaux rouges et blancs. Les hommes se mettent d'abord à table puis c'est le tour des femmes. L'horloge sonne deux coups. Epuisée, Maria s'endort dans un transat, les pieds sur des coussins posés près de la cheminée. En cette fin d'hiver, la cuisine a encore besoin d'être chauffée. Le reste du bâtiment, du XVIe siècle, aux murs très épais, est frisquet. George Sand racontait que, dans la chartreuse désaffectée, pesait sur ses épaules «comme un manteau de glace».
Demain, balade vers Valldemossa pour revoir une fois de plus la Méditerranée et, surtout, visiter enfin la chartreuse «si belle sous ses festons de lierre». En attendant, le soir venu, le voluptueux parfum des orangers en fleur et des jasmins rendront fous amoureux tous les habitants de Majorque.
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