D'ici à 2020, selon l'Organisation mondiale du tourisme, le nombre de touristes dans le monde devrait tripler pour atteindre 1,5 milliard de voyageurs. Et la France reste une destination privilégiée, la première en nombre de visiteurs et la troisième pour les recettes générées : 40 milliards d'euros en 2013. L'objectif de 45 milliards d'euros en 2015,affiché par le groupement d'intérêt économique Maison de la France, chargé de la promotion touristique de la France à l'étranger, aiguise les appétits. Il conduit aussi les «territoires», régions, départements, villes ou grandes agglomérations à repenser une communication touristique qui s'était souvent essoufflée et banalisée : les «beaux paysages» et «l'authenticité du terroir», valorisés par tous, finissaient par gommer l'«identité».
«Il y a une vraie prise de conscience de l'enjeu du tourisme par les régions et les collectivités territoriales», constate le directeur général de Maison de la France, spectateur privilégié de la concurrence que se livrent des régions néanmoins capables de coordonner leurs efforts sur le marché étranger. «Au moins 70% des départements ont l'espoir de générer du tourisme», confirme le PDG de l'agence de communication Hôtel République, spécialisée dans le marketing touristique. Avec la difficulté, pour nombre d'entre eux, de se faire reconnaître comme destination de loisirs. Et l'ambition, moins clairement affichée, d'attirer des investisseurs économiques et de séduire la population locale.
La récente campagne de l'Aisne illustre parfaitement ce cas de figure : depuis le 13 octobre, ce département proche de Paris, mi-picard mi-ardennais, s'affiche sur les quais du métro parisien et dans la presse hebdomadaire dans le but avoué de remédier à une absence de notoriété qui freine son développement économique. «L'objectif est d'attirer dans notre département touristes et investisseurs»,précise le site Internet du conseil général, commanditaire de l'opération. Le prétexte est donc touristique : l'ouverture en 2015 par le groupe Pierre et Vacances d'un nouveau Center Parcs. Celui-ci s'est engagé à consacrer 12 millions d'euros à la communication de lancement de ce centre de loisirs. Un budget énorme et une occasion unique pour l'Aisne de sortir de l'anonymat en convaincant Pierre et Vacances de mentionner l'Aisne dans sa communication (catalogues, brochures, sports publicitaires). D'où cette campagne audacieuse, «L'Aisne it's open», qui fait du nom du département une source de jeux de mots : «Peace Aisne love», «Rock Aisne roll», vantant ses atouts paysagers et culturels.
150 millions d'euros pour la communication
«Il se dépense chaque année plus de 150 millions d'euros en France, uniquement pour la communication touristique, explique-t-on au conseil général. Dans ce brouhaha publicitaire, c'est soit le matraquage, soit l'audace.» Le matraquage coûte cher, l'audace s'est avérée plus payante : au lieu de vanter «l'Aisne terre d'accueil», les professionnels du tourisme démontrent leur sens de l'hospitalité grâce à quelques mots d'anglais, langue d'échange mondiale. «Sur la notoriété, l'Aisne va réussir»,pronostique un expert en tourisme, en soulignant que, dans ce genre de campagne fondée sur une communication provocante, le risque est celui de la «sur-promesse». «Plus l'artifice est proche de la réalité, mieux c'est», conseille-t-il.
Certains départements n'ont pas besoin d'artifices pour se faire connaître et ont su, en pionniers, se forger une image. L'Ardèche est un cas d'école : la rivière du même nom permet de valoriser toutes les ressources touristiques du département. Les gorges de l'Ardèche, c'est un paysage sauvage, la pêche, les sports nautiques, le tourisme vert... La Dordogne, elle aussi, a très tôt su vendre, aux Anglais notamment, son art de vivre et sa gastronomie.
Pour d'autres, la recherche d'une identité spécifique demande un gros travail de réflexion en amont. Car la première posture d'un «territoire» à l'identité incertaine est de dire : on a tout, on est très diversifié. Résultat : une communication contre-productive. Le Lot-et-Garonne, avec ses paysages de vergers et son canal du Midi, a évité l'écueil. Il a fini par transformer son titre de «plus gros producteur de fruits» de France en label touristique : «pays producteur de vacances» et «fabriqué chez nous».
La Creuse a moins bien réussi. Département symbole de l'exode rural et de la désertification des campagnes, elle a joué de cette confidentialité en se présentant comme une «destination secrète». Mais ce qui devait être un privilège a au bout du compte renforcé son inconvénient supposé, à savoir un accès difficile. «80% des gens vivent en ville. Ils veulent bien se mettre au vert, mais à condition de bénéficier d'un certain niveau d'équipement», commente un expert en tourisme.
Identité et notoriété
Certaines régions jouissent d'une identité naturelle, comme la Bretagne ou la Corse. D'autres disposent d'une très forte notoriété touristique, mais d'une faible identité, comme Provence-Alpes-Côte-d'Azur, dont l'énoncé est formé de la juxtaposition de destinations connues des touristes, mais qu'on préfère appeler Paca. Pis encore, certaines n'ont ni l'une ni l'autre et, là, le tourisme devient l'un des outils d'un marketing territorial dominé par des visées plus économiques, voire politiques.
Le directeur général d'Euro-RSCG, ne s'en cache pas. «La première cible d'une campagne est toujours la population du territoire concerné, dont on cherche à créer ou à renforcer l'identité. Quand je discute avec une collectivité, je n'hésite pas à parler de pouvoir. Mon boulot, c'est de convaincre le président d'une collectivité que, derrière l'identité de son territoire, c'est sa réélection qui est en jeu.»Le président de l'agence DDB-Le Tourisme, leader en France sur la communication touristique, tempère : «Depuis une dizaine d'années, la communication touristique à des fins électorales tend à disparaître.» Les deux communicants sont en revanche d'accord sur le fait que, derrière le tourisme, le véritable enjeu est celui du développement économique. «La deuxième question que se pose une entreprise qui cherche à s'installer, après celle de la proximité de son marché, est de savoir si ses salariés se sentiront bien», souligne il. La promotion économique pure n'étant pas très sexy (chantiers et réseau routier ne sont pas vraiment photogéniques), une communication touristique axée sur le caractère «agréable à vivre» renforce l'attractivité auprès des investisseurs.
Or«les budgets touristiques sont plus importants que les budgets consacrés au développement économique». Il rajoute que «les retombées touristiques pures d'une campagne de promotion sont financièrement inférieures au coût de cette campagne».Ce sont donc les effets économiques indirects qui, à terme, «rentabilisent» une campagne. La tendance lourde de la promotion touristique est de s'adresser en priorité à une clientèle de proximité, au lieu de saupoudrer les moyens sur des cibles lointaines courtisées au niveau mondial.