Comme on parlerait d'un ami: par son petit nom. «Si c'est ici le bout du monde, disait Antoine Blondin, c'est un bien joli bout!» Il n'avait pas tort, l'artiste. Encore que joli ne soit pas suffisant pour décrire cette presqu'île minuscule, que d'autres appellent également la Pointe. Adversaire girondin du Pyla et de sa dune, le Ferret donne tous les soirs le spectacle saisissant de ses couchers de soleil que Cocteau qualifiait de «plus beaux du monde».
Les aficionados du Ferret, qui en sont drogués et qui y reviennent tous les ans comme on retourne à Lourdes après un miracle, ont des habitudes qui tournent à la manie. Ils ont leur café, leur restaurant, leur banc, leur plage, leurs fournisseurs de pique-niques et même leur vocabulaire. Leur monde surtout. Ça commence en milieu de matinée. Il faut dire que, généralement, on se couche tard à cause d'un café pris négligemment au Pinasse Café, face à la dune du Pyla. Là, dans le journal Sud-Ouest, et dans ses colonnes exclusivement, on cueille les nouvelles fraîches et les potins locaux. Puis on fonce dare-dare acheter tout ce qu'il faut pour préparer un pique-nique collectif. Le rosé est obligatoire. Ensuite, on prend le bateau, et l'on va, en fonction des marées, pique-niquer sur le banc d'Arguin, où l'on «ostréicultive» les meilleures huîtres du Grand Sud-Ouest. Sur cette langue de sable, brûlée par le soleil mais rafraîchie par le vent marin, on se raconte les derniers potins parisiens. Et bordelais. Ce qui fait très chic, surtout si l'on a les plus récents échos sur la situation vinicole des grands crus. Puis on rentre pour aller manger chez Hortense, le restaurant «in» dont on annonce tous les ans qu'il a changé son décor. Ce n'est toujours pas le cas cette année, bien que tout le monde l'affirme! Après on ira boire un verre chez Paulo, qui tient désormais La Carène, puis, pour finir la nuit, jusqu'au petit matin souvent chagrin, on ira au Sail-Fish ou au Grenn-Mango du Ferret. On recommencera demain.
Le marché, plus coloré qu'un «mercat» provençal, est lui aussi incontournable. Il est sans doute le plus grand et le plus pourvu du Grand Sud-Ouest. Aller au Mouleau, c'est-à-dire de l'autre côté du bassin, fait partie des autres plaisirs de la saison. C'est en effet un petit bonheur puisqu'on y va en bateau et que l'on peut même prendre le «petit train» avant d'atteindre l'embarcadère. Visiter le phare fait aussi partie des incontournables. Mais, en réalité, au Ferret, tout est incontournable. Y compris pêcher des «loubines» au pied de la jetée Bélissaire. Les montrer aux amis pour les rendre jaloux participe du bonheur. Et fait passer le temps, qui ici ne passe que très lentement et s'étire avec une incroyable timidité.