Il y a bien une côte cernée sur un port sacrifié aux dieux du tourisme et des boîtes de nuit. Il y a bien des hordes d'Anglais tatoués, des bandes d'Allemands indisciplinés, des Scandinaves écarlates et des Français avides de décibels et de stroboscopes qui dérivent chaque été du petit aéroport jusqu'à la cité balnéaire de Sant Antoni. Pourtant, l'île d'Ibiza vit aussi d'autres rythmes. Et possède d'autres manières de se faire aimer. Mieux vaut s'y rendre en dehors du bouillant potage touristique de l'été. Nulle part on ne peut goûter mieux qu'ici la nature changeante au fil des saisons. Hymne aux amandiers en fleur en février, herbe grasse, lavande, marguerites et orangers à foison en mars, champ jonché de coquelicots en avril avant que de petites fleurs bleues ne les supplantent en mai. Début décembre, sur les nombreuses criques désertées, on peut encore se baigner dans une mer à 20°C.
Eivissa, la ville principale elle-même, mérite la visite appliquée: au pied des murailles, les anciennes maisons de pêcheurs blanchies à la chaux se pressent les unes contre les autres. Contrastant avec ce désordre pittoresque, les quartiers modernes s'étendent à l'est de la baie, derrière le Club nautique et le nouveau port de plaisance.
Il y a l'enceinte fortifiée, le château, la cathédrale, les demeures seigneuriales du Carrer Major, la petite place del Parque et son café Madagascar, lieu de rendez-vous des Ibizencos. Les amateurs de plantes sauvages s'y retrouvent le samedi après-midi puis partent avec un guide naturaliste découvrir la flore de l'île. Loupe à la main, les voilà qui bavardent à propos de l'Hippocrepis balearia ou du gracieux Helianthemum origanifolium près de Sant Joan.
Mais nul besoin de se transformer en botaniste émérite pour se rendre compte que l'île garde jalousement ses secrets. En s'aventurant dans le nord, on oublie une Ibiza aseptisée: ce pays retrouve ici son vrai visage. Cachées dans les pins d'Alep et les caroubiers, de belles anciennes fincas (fermes traditionnelles) ont été reconverties en hôtels d'agrotourisme, qui ajoutent l'hébergement à une exploitation agricole.
De là, il ne faut pas manquer de faire une excursion à cheval ou d'emprunter les caminos de cabras, les sentiers de chèvres jusqu'aux impressionnantes falaises sauvages de la Punta Roia. Quant aux splendides calanques Cala d'Albarca ou Cala d'en Sardina, elles ne sont accessibles que par mer ou par des chemins escarpés.
Loin de l'agitation estivale, on prend aussi le temps de rencontres amusantes. Jean-Michel, cheveux longs et allure de Sioux, est venu s'installer sur l'île il y a une dizaine d'années. Musicien, il organise chaque mercredi à Las Dalias (lieu du marché hippie du samedi) des namaste, fêtes alternatives sur fond de musiques ethniques. Histoire de nous rappeler que les flower people ont toujours la cote. On le retrouve d'ailleurs, un soir de pleine lune pour un tamascal, sorte de rite voué à la Terre. Si durant près de trente ans, Ibiza a surfé sur la vague indienne, c'est au tour des Indiens d'Amérique et des chamans mexicains d'être à la mode! Près d'un feu, une tente en peau contenant des pierres bouillantes accueille une dizaine de femmes et d'hommes sur fond de sueur, de tam-tam, de «hi ha hi ha ho» et de prières chamaniques.
Si les néohippies se portent bien, les artistes aussi. De son atelier parisien près de la Bastille au bar Costa de Sant Gertrudis, les formes humaines du peintre chilien Andrés Monreal courent entre paysages fantasmés et ruines de cités antiques. Il a découvert l'île en 1957 et s'y retire plusieurs mois de l'année dans sa maison recouverte de fresques près de Sant Matteu.
Dans la vallée de La Savina, Jacques et sa femme Babette ont également construit leur paradis. Nichée au pied d'une ancienne carrière, leur maison, cernée d'un superbe jardin exotique où dansent quelques sculptures, respire l'harmonie.
A la tombée du soir, une halte s'impose aux marais salants de Ses Salines, refuge des flamants roses. Puis jusqu'aux falaises surplombant la Vedra, montagne de la mer, décalquée dans son ombre.
On se laissera ensuite tenter par dos tapitas y un vaso de tinto (deux petites tapas et un verre de rouge) au cap del Falco connu pour son coucher de soleil. A l'horizon, un trait de violent rouge à lèvres barre le grand large.
Pratique
Y aller
Paris-Ibiza (via Barcelone) à partir 107€ Vueling, 166€ sur Air France, 0820-820-820. Nombreux vols charters directs (voir agences).
Office du tourisme d'Espagne, 43, rue Decamps, 75016 Paris, 01-45-03-82-50.
Se loger
HOSTAL LA ADUANA
Can Marti. Charme, ambiance conviviale avec une boutique de produits bio. Route Sant Joan, (34) 971-33-35-00. www.canmarti.com
Se restaurer
Le Clos Denis, Plaza de la Iglesia à Sant Rafel, (34) 971-198-545. Tenu par Denis Gentès,
ancien chef parisien. Etape obligatoire
pour tous ceux qui séjournent sur l'île.
La côte de bœuf est fameuse!
Cana Joana. Route Sant Josep, km 4. Très bonne table tenue par Joana. Goûter sa mousse de pomme de terre à la truffe noire et son coulis
de persil. Balafia. A Sant Joan, km14 sur la route de Sant Llorenç. Pour les habitués Ibizencos.
La Raspa. Idéal pour le lunch sur la terrasse. Marina Botafoch, (34) 971-311-810.
Succulente bouillabaisse le dimanche.
Chiringuitos (restaurants de plage)
Carmen à Cala d'Hort; Xarco à Porroig;
El Bigotes sur la Cala Mastella.
Le pêcheur surnommé «Moustache»
concocte de succulents poissons.
Et l'incontournable Jockey Club à la Cala Jundal.
VISITER
Promenades à bicyclette, Eco Ibiza, (34) 971-302-347.
Golf Cala Llonga, (34) 971-196-118.
Pour les nombreuses criques et plages se procurer la carte de l'Office du tourisme (Passeig de Vara de Rey à Eivissa).