Le traîneau est tiré par des chiens de chasse croisés, nourris exclusivement aux tripes de rennes, plus rapides que des huskies. Certains, noirs à gueule rouge, ressemblent à des diables. Au-dessous de nous, soixante-dix centimètres de glace, puis le lac de Talvatisjörn. Silence brisé par le glissement du traîneau qui ripe dans les virages et nous emmène à fond de train, à quinze kilomètres au-delà du cercle polaire, vers le marché de Jokkmokk, le plus célèbre de la Laponie suédoise depuis 400ans. Sous un ciel à la transparence d'aquarelle, les stands sont installés devant des maisons de bois colorées. A des crochets, peaux de martre, fourrures de fouine et queues de vison ballottent au vent, au-dessus de chapkas en renard argenté. Aux étals des bouchers, saucissons fumés d'ours et d'élan, à côté de grands tétras enroulés dans leurs plumes noires. Brigitta, conservatrice du Musée Äjjte (où la vie des Samis – Lapons en vo – est reconstituée par des personnages de cire) nous dirige vers de curieuses petites tasses rondes sculptées dans du bois de bouleau. «Ma mère en avait une semblable, accrochée à sa ceinture. Mes parents étaient éleveurs nomades. Jusque dans les années 1940, dès que la neige gelait, les rennes allaient vers les pâtures de montagne, et nous les suivions. Maman attelait le grand traîneau familial qu'elle reliait à ceux de la caravane, installait dessus grand'mère, mes frères ainsi que tente et ustensiles de cuisine. A sa ceinture, son couteau au manche et fourreau sculptés dans du bois de renne (aussi dur que la pierre), l'étui à couture avec alênes et fil en boyau de renne.Enfin un petit pot de sel auquel nous, enfants, n'avions pas le droit de toucher car c'était une denrée chère. La migration durait une semaine.» Des rééditions fidèles de ces objets quotidiens occupent des stands entiers. Entre deux étalages de bijoux en fils d'étain torsadés, un renne blanc est attaché à un bouleau. «C'est un albinos, un porte-bonheur, dit Brigitta. Il en existe 1% parmi les 700000 rennes de Laponie.»
Chasse à l'élan et pêche au trou
Il fait froid: –15°C. Nous entrons dans une tente-bistrot semblable à un tipi indien. Assise par terre sur des fourrures, une assistance volubile nous fait place. Le débat – en lapon – est animé. Il s'agit de choisir parmi les trente mots qui désignent la neige. Car cette langue, riche en vocables se rapportant à la nature, traduit la connaissance et l'amour que les Lapons (comme les Suédois) lui portent. «L'hiver, dit Björn, je pêche l'omble par un trou dans la glace.» Ses trois compagnons décrivent leurs loisirs: chasse à l'élan, aux perdrix et aux tétras, pêche à la truite, balades autour de Jokkmokk. On nous offre du bouillon de renne: odeur de peau de mouton; au goût, c'est délicieux.
Dehors, des hommes en manteaux de loup déambulent. Un petit escadron de motoneiges s'arrête pour nous emmener déjeuner sur le lac gelé où nous doublons des traîneaux à rennes. Sous de grandes tentes en peau, des jeunes femmes en costume traditionnel, robe longue bleu vif (couleur du ciel) à plastron brodé, ceinture tressée et bottes en peau, font rissoler dans d'immenses poêles des steaks de rennes. Exquis, sans graisse, presque du chevreuil. En entrée, œufs de lavaret (poisson proche du saumon). Pour dessert, confiture de baies polaires.
La neige illumine, phosphorescente comme une pluie d'argent. En traîneaux tirés par des rennes, nous partons dans la forêt. Le rythme est lent, le silence immense. Halte à une cabane de bûcheron. Dans la chaumière, des bouteilles de «patte de loup» – cocktail vodka-jus d'airelle – sont prêtes. Les langues se délient: un garde forestier confesse comment, il y a deux mois, il a tué un ours.
Retour au lac et visite du corral des rennes, installé dans une clairière. «Approchez-vous très doucement», conseille Nils, éleveur. Quatre-vingts rennes nous regardent avancer. Nous sommes à six mètres d'eux et soudain la harde se déplace en masse, courant très vite, presque sans bruit. Juste de petits martèlements secs et sourds. Ils galopent serrés. Rude journée pour les rennes. Paris et son métro sont à quatre heures de vol.
Y aller
Grand Nord-Grand Large (01-40-46-05-14 et www.gngl.com) organise des séjours d'une semaine à l'hôtel de Jokkmokk en demi-pension, petits déjeuners compris (voyage Paris-Lulea aller-retour+transfert à Jokkmokk). Activités en option, à réserver à l'avance: balade en traîneau à rennes (3 heures), environ 105€; balade d'une journée en traîneau à chiens, dîner et nuit en refuge (on conduit le traîneau, on soigne les chiens), environ 207€. Pêche au trou (3 heures), environ 105 €. Safari en motoneige (2 heures), environ 120€. Randonnée de 3 heures en raquettes avec pique-nique: environ 85€.
Visiter
A Jokkmokk: Musée Äjtte (Musée suédois des montagnes boréales et de Laponie). Entrée 5€.
Acheter
Vêtements en fourrures. Peaux de renard roux ou argenté, de vison, de martre, de fouine, de renne. Sacs et sacs à dos en peaux de renne. Tissages et broderies. Travail du bois, de l'argent, de l'os, de la paille. Viandes congelées, naturelles ou fumées. Gibier. Charcuteries de renne, d'élan, d'ours. Confiture de baies polaires.
Lire
«Le Guide Vert – Danemark, Norvège, Suède, Finlande» (Michelin, 14,40€).
«Le Goût du baiser d'un garçon» de Mickael Niemi (Actes Sud, 21,38€).
«Anta–Mémoires d'un Lapon» d'Andreas Labba (Terre Humaine Poche, 6,50€).
A noter
Le marché de Jokkmokk n'a lieu que trois jours par an, début février. De 3500 habitants, le village passe alors à 30000 âmes. C'est dire que, pour le visiter, il faut réserver hôtel et séjour au minimum trois mois et demi à l'avance. Le marché, à lui seul, ne vaudrait peut-être pas le voyage (sauf pour les fourrures) mais le village, depuis des siècles «capitale same» de la Suède, est authentiquement lapon. Une nature intacte l'environne, classée «Terre sauvage» au patrimoine mondial de l'Unesco. Meilleure saison pour y aller: de décembre à avril.
Prévoir des vêtements très chauds de sports d'hiver. Il peut faire jusqu'à -30°.
Office suédois du tourisme, 00-800-3080-3080 et www.visit-sweden.com