Sous la menace de l'Etna, la Sicile des monts et des collines révèle son authenticité.
Une terre chargée de secrets, austère parfois, que peuplent les nombreux vestiges de son passé gréco-romain
De Palerme l'arabo-normande à Syracuse la gréco-romaine, crêtes, croupes et mamelons sculptent le «grenier à blé» de l'Empire romain, qui sépare la mer Tyrrhénienne de la mer Ionienne. Quitté la côte et ses lauriers-roses, aux abords de Cefalu, les bleus du large accompagnent l'ascension du massif des Madonie. Les futaies de chênes verts et de conifères escaladent les pentes. Cerfs, sangliers et loups peuplent les légendes; renards, porcs-épics, belettes et écureuils, les versants, creusés de lacs et de grottes.
Perchés sur des pitons, les bourgs déroulent un lacis de venelles escarpées entre églises et palais. Sur les terrasses, les tomates sèchent au soleil de septembre. Dans une courette, une femme prépare le mélange de caroube et de zeste d'orange qui aromatisera et fortifiera le vin. Sur la place, devant le bar, les vieux contemplent la vallée. Au fil des rues, au seuil des maisons, les chaises se figent dans l'attente. Et à l'heure de la sieste, les villages perdent jusqu'au dernier de leurs occupants. Dans ces solitudes habitées, fiefs des «barons» hérités des latifundia romaines, le temps s'est arrêté.
Montagne encore aux confins de cette île, colonisée par les mercenaires des Normands puis de Frédéric de Hohenstaufen, légende toujours avec le combat des soldats angevins sauvés par le lait des femmes de Sperlinga. Retranchés dans l'impressionnante forteresse rupestre, treize mois durant ils soutinrent le siège après le sanglant épisode des Vêpres siciliennes, qui déchira l'île en 1282. Démesure dans le tragique comme dans le beau, excès de la nature comme des mythes. Après Nicosia, taillée dans le rocher avec ses habitations troglodytiques, des gorges sauvages mènent à Leonforte et enfin à Enna, «ombilic de la Sicile», puissante, sévère sur son éperon, royaume des Lestrygons, géants homériques, et de Déméter, la déesse mère. Ici, des paysans sans terres pratiquent le culte de la fertilité. Cédées par les Arabes et confisquées par les Espagnols, exploitées par les seigneurs avant d'être morcelées par les réformes agraires de l'après-guerre, ces terres sont sans fermes, sans hameaux. Parfois, au retour des champs, la silhouette d'un homme, d'une simplicité poignante, se découpe sur les immensités.
Au sud du lac de Perguse, où Hadès enleva Perséphone, dans des paysages d'une beauté saisissante, les mines de soufre, à l'abandon, en appelaient aussi aux dieux de la Terre. Le site de Floristella est devenu musée. En surplomb du Salso, les puits de Giumentaro font écho aux récits de Sciascia. Et, dans la nuit, témoin de la présence des divinités souterraines, les fumerolles de l'Etna panachent le ciel.
D'Enna à Grammichele, via Aidone, la route sacrée reliait les cultes montagnards à la république de Syracuse. Route de pouvoir aussi des cités grecques, qui fondèrent une première colonie au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, pour dominer l'île pendant plus de cinq siècles. Les courbes des monts Erei, plantées de pins et d'eucalyptus, se font plus douces. Sur une colline habitée dès l'âge du bronze par les Sicanes s'établit la ville grecque de Morgantina. Tavernes, fours à céramique, réserves à blé disent le quotidien. La cité prospère, où, devant chaque maison, une lanterne éloignait les esprits malins, obéissait aux règles de la démocratie. Les 50 représentants, élus tous les mois, se réunissaient dans le prytanée. Le peuple votait lois et sentences lors d'assemblées tenues sur l'escalier trapézoïdal qui sépare l'agora inférieure de la supérieure. Préservée de la foule des grands sites archéologiques, Morgantina a le charme de sa sérénité. Comme le proche musée d'Aidone, aménagé dans l'ancien couvent des Capucins. Là, les bustes de Perséphone, symbole de la renaissance après six mois au royaume des Enfers, une fois encore ramènent aux dieux.
Témoignage d'autres grandeurs, la célèbre villa du Casale conserve les fastes du Bas-Empire des IIIe et IVe siècles. 3 500 mètres carrés de mosaïques où s'affrontent bêtes sauvages, gladiateurs et héros mythologiques en des combats spectaculaires.
Mais l'ancienne province espagnole du Val di Noto est avant tout un hymne à la gloire du baroque. Défi du renouveau destiné à effacer le drame, au tremblement de terre de 1693 succéda le lyrisme de la pierre. Une pierre lumineuse, friable, qui se prête à toutes les fantaisies. En un élan commun, colonnes, frises, volutes s'élèvent vers le ciel. Au gré des volées qui dévalent les trois collines, Piazza Armerina déploie palais et églises entre placettes et fontaines. Plus théâtrales encore la nuit venue, façades et coupoles se présentent avec ostentation. Avec son célèbre escalier aux 142 contremarches ornées de majoliques polychromes, Caltagirone ajoute à la perspective la couleur. Grammichele et sa place hexagonale illustrent avec brio la hardiesse du tracé. Et, à Palazzolo Acreide, ville haute et ville basse rivalisent de concaves et de convexes. Balcons de fer forgé, torsades de pierre se répondent en arabesques osées. Sortino, Ferla, Buccheri unissent leurs courbes à cette géométrie de l'équilibre magnifiée par la lumière du Sud. Villes-théâtres, toutes imposent à l'œil comme à l'esprit la puissance de la Contre-Réforme.
Sotto voce, la campagne est aussi géométrie. Les murets de pierre sèche quadrillent les monts Iblei; les coteaux s'escarpent, toujours dominés par l'Etna. Auprès des agaves se hérissent les figuiers de Barbarie, importés par les Arabes. Seules rondeurs, oliviers et caroubiers rompent les lignes. Puis les causses se creusent de ravins, verticales magnifiques et désolées.
Dernier appel aux dieux, les Santoni de Palazzolo célèbrent le culte de Cybèle parmi les orchidées, la ville grecque d'Akrai résonne des rites pratiqués en ses latomies, les nécropoles de Pantalica préservent le mystère de leurs morts. Et au terme de la voie sacrée surgit l'incomparable Syracuse.
Renseignements
Office national italien du tourisme (ENIT) : 23, rue de la Paix, 75002 Paris, 0803-33-61-30, fax: 01-47-42-19-74.
Voyager
Alitalia (0802-315-315) assure plusieurs liaisons quotidiennes au départ de Paris et de la province à destination de Palerme et Catane via Rome ou Milan.
Nouvelles Frontières (0803-33-33-33) propose un vol charter direct le vendredi, d'avril à octobre, au départ de Paris et de province. L'été, lumière et chaleur ajoutent à la force des paysages. Avec l'arrière-saison vient une douceur qui semble ne jamais finir.
Téléphoner
Pour appeler de France, composer le 00-39 suivi de l'indicatif régional et du numéro de votre correspondant.
Se loger
Pour vivre une Sicile authentique, les chambres d'hôte offrent une hospitalité conviviale dans un cadre préservé à des prix raisonnables. De plus, vos hôtes se révéleront de fins cuisiniers et d'excellents guides.
Centre de réservation: Agriturist, via Alessio Di Giovanni, 14-90144 Palerme, 091-34-60-46. Fax: 091-32-32-00.
LES AUBERGES DE JEUNESSE EN SICILE:
AUBERGES DE JEUNESSE
Se restaurer
La cuisine sicilienne est un art, presque un rite, qui emprunte avec talent aux différentes civilisations de ses conquérants. Legs des Espagnols, tomates et aubergines sont très présentes, sous forme, par exemple, d'involtini, roulés d'aubergines frites, et de caponata, «ratatouille» aux câpres et aux raisins secs. Cochon de lait aux herbes des monts, lapin à l'aigre-doux, omelette aux asperges sauvages, soupe aux fèves, pâtes aux artichauts, la gastronomie emprunte aux traditions paysannes. A l'honneur, champignons et ricotta, fromage de brebis, du petit déjeuner au dessert, en passant par les raviolis. Héritage des Arabes, le pain au sésame, au cumin, et les douceurs en tout genre. De la pâte d'amandes à la cassate sans oublier les cannoli, pâtes frites fourrées de fromage et aux fruits confits. Douceurs encore avec les granite, sorbets à déguster avec une brioche, le miel de caroubier, le muscat à l'arôme de fleurs. Outre de bons vins locaux, deux crus se partagent le mythe du Guépard : le rouge Tancredi et le blanc Donnafugata.
Ne pas manquer
Théâtre grec. A Syracuse, fin juin début juillet, les années paires. A Morgantina, fin juillet début août, les impaires. Réservation recommandée auprès de l'O.T. de Syracuse ou de Piazza Armerina. Grandiose!
Les Madonie. Randonnée et équitation de la mer Tyrrhénienne aux sommets des monts boisés situés au sud de Cefalu. Office du Parc, 092-16-80-201.
Pantalica. Randonnée, baignade, promenade à cheval et en char à bancs. Office du Parc, 093-14-62-452.
Shopping
De l'antiquité au simple souvenir, les céramiques de Caltagirone sont, à juste titre, réputées. Dans des coloris bleu, vert et jaune, elles perpétuent une tradition qui remonte à la préhistoire.
Lire
Le Grand Guide de la Sicile (Bibliothèque du voyageur, Gallimard) ;
Le Guide de la Sicile (La Sicile pratique).