A Litohoro, une brochette de petits vieux tapent le carton. Attablés devant leur verre de rapsani, le beaujolais grec, aucun d'entre eux ne perd de vue la crête enneigée du mont Olympe, qui dessine le profil de Zeus, à quelque 3 000 mètres d'altitude. Cette montagne des dieux, «les pieds dans l'eau et la tête dans les nuages», domine la côte de la mer Egée, enlaidie par des hôtels en béton. Par beau temps, on l'aperçoit même de Thessalonique, à 90 kilomètres au nord. A ses pieds, Litohoro a un certain cachet, vanté par des cartes postales gondolées en noir et blanc. Le village ouvre sur la gorge de l'Enippéas, qui aspire irrésistiblement le randonneur dans un gouffre vertigineux, avant un passage facile et l'ascension de l'Olympe en huit heures jusqu'au refuge, à 2 100 mètres.
Mais l'atout principal de Litohoro, c'est la célébration de son épiphanie, lorsque, dans les vapeurs d'encens, les simandres (planches de bois frappées d'un maillet) de l'Eglise orthodoxe résonnent dans les ruelles et quand, de ses églises du XVe siècle surchargées d'or, Aghios Demetrios et Aghios Nikolaos, s'élèvent les hymnes des pèlerins venus embrasser l'icône du Christ. Lorsque le pope lance, d'une envolée de manches céleste, la croix dans l'eau d'un étang, c'est l'occasion pour un plongeur rapide de récupérer la croix, d'épater les filles et de faire le tour du village pour récolter des dons. En Thrace, en Epire, en Macédoine, l'Antiquité omniprésente s'incruste au quotidien. Des jeunes femmes aux prénoms de déesses (Artémis, Aphrodite...) cuisinent à l'huile d'olive de marque Athéna et caressent leur chat prénommé Apollon. Elles seules connaissent le chemin le plus court qui mène à Dio, le sanctuaire macédonien caché. Là où, vision suprême, le visage d'Isis émerge des marécages. Là où l'on découvre des dalles de pierre, enfouies sous les herbes, portant les traces de roues des chars des Doriens, installés à Vergina, non loin de là, au VIe siècle avant Jésus-Christ.
En plein été, sur la route de Ioannina, le village de Metsovo est à l'Epire ce que Saint-Paul-de-Vence est au midi de la France: un village- musée, plein à craquer de touristes qui trébuchent sur les pavés disjoints de ses ruelles tortueuses. Mais, en hiver, la vraie vie reprend ses droits. Sur la place du village crépitent les braseros et les tournebroches où grillent des moutons entiers. Les bergers en cape noire et culotte de laine blanche palabrent en ta vlachika (valaque), appuyés sur leur grande houlette, sculptée dans l'arbousier. Partout, les odeurs persistantes sont celles des pains au sésame se mêlant à celles du metsovoné, le fromage fumé. Des cheminées des maisons balkaniques à balcon de bois ajouré s'échappe la fumée des bûches enfournées tout l'hiver dans les grands poêles de céramique contre les vents glaçants du Nord.
Là-bas, à Arachova, les bergers ont troqué depuis longtemps le costume traditionnel contre la salopette des moniteurs de ski. Les petits vieux à moustache continuent pourtant d'égrener leur komboloï (chapelet) dans leur quincaillerie séculaire, reconvertie en bazar de souvenirs. Au fond des tavernes aux tables bancales on sert le yaourt au miel «à la louche» et le korto (soupe de légumes) «brûlant», histoire de ravigoter les skieurs qui dévalent du mont Parnasse. Là-haut, à 2 457 mètres, on profite des joies des sports d'hiver comme aux premiers temps du ski, siga, siga, doucement, doucement!
Qui pourrait penser qu'à quatre heures de route de cette station de ski se perpétue, à Langada, près de Thessalonique, et malgré l'interdiction de l'Eglise, un rite antique unique en Europe? Originaire des fêtes d'Athènes et survivance du culte de Dionysos, cette cérémonie réunit, une fois par an, les adeptes de la secte grecque des Anasténaridès. Des possédés qui dansent trois nuits de suite sur les braises ardentes, brandissant des icônes, dans le but de fertiliser les champs et les femmes... Le 21 mai, jour de la Saint-Constantin, le bûcher gigantesque est dressé, précédé du sacrifice d'un taureau dont le sang ira féconder Gaia, la Terre mère. Chaque famille reçoit, à cette occasion, un lambeau de peau de l'animal destiné à la confection d'une chaussure: un symbole contre les malédictions. Il y a foule, même les cigognes sont au rendez-vous.
A quelques kilomètres seulement, mais à des années-lumière, des moines «ivres de Dieu» ont préféré l'isolement du mont Athos, en Chalcidique. Cette presqu'île (le seul Etat monastique d'Europe) regroupe 20 monastères orthodoxes agrippés à des falaises à pic surplombant la mer Egée. Les 1 500 moines qui l'habitent, coupés de la civilisation, n'y parlent que de fin du monde, d'enfer ou d'apocalypse. Sur la montagne «sainte», les femmes sont interdites et aucun animal femelle n'est toléré, à part les poules, dont le jaune d'œuf sert à la confection des peintures d'icônes.
Les hommes qui ont pu s'y rendre, «à raison de dix par jour pour trois couchers de soleil», rapportent qu'à Athos l'or et le rouge (le sang du Christ) sont les couleurs dominantes. Que l'on y apprend à fabriquer la peinture d'or, soit avec de l'ail pilé et tamisé, soit avec de la bave d'escargot et de l'alun. Qu'avec le père hôtelier on s'initie à la cuisson des galettes de seigle sous la cendre. A distinguer, à la nuit tombée, le chant des dzidzikas, les cigales, et le hululement des koukouvagas, les chouettes. Pour «s'élever davantage», le verre de raki est indispensable avant le chant des offices de nuit. Mais il faut surtout apprendre à ne pas se perdre le long des chemins pavés par les moines, qui conduisent à des monastères monumentaux, sublimes mais délabrés.
Certains pèlerins s'aventurent jusqu'au désert de pierres, là où vivent les moines ermites qui ont choisi de vivre dans des kalyves, des cabanes d'une seule pièce, à 200 mètres au-dessus de la mer, avec une planche recouverte d'une peau de chèvre en guise de lit, une table, une lampe à pétrole, une étagère pour la vaisselle, une autre où sont alignés les crânes des ermites précédents, avec une étiquette portant leur nom. Et une vue imprenable sur la mer... Ces ermitages sont accessibles grâce à des chaînes maintenues par des crampons de fer scellés dans le roc. D'autres sont équipés d'un treuil et d'une poulie permettant de ravitailler les ermites, heureux de communiquer un peu avec les rares visiteurs extérieurs.
Au sud d'Athos, dans l'archipel des Sporades, Skyros, l' «île aux pirates et aux 188 chapelles», échappe à l'envahissement insulaire. Certaines maisons sont décorées avec les butins repris aux pirates qui sévissaient dans la mer Egée au XVIIIe siècle. Dans cette île sauvage où la nature est rude et le mode de vie précaire vivent des poneys d'espèce unique au monde, et de drôles de bergers qui, chaque année en février, font revivre les anciens rites de la fertilité. Revêtus de masques en peau de chèvre et ceinturés de 50 kilos de cloches autour de la taille, ils dansent toute la nuit trois jours d'affilée: l'occasion, pour eux, de manifester librement force et sexualité et de revendiquer leurs racines. Vous trouverez des auberges de jeunesse dans toutes les régions.