Mais le climat ne fait pas tout. Il faut aussi le cadre. Qu'il s'agisse de « cam pagnes », simples oliveraies accrochées sur les pentes en compagnie de la vigne, du pois chiche et de l'amandier, ou de l'écrin fleuri, sophistiqué, des grands hôtels ou des villas d'apparat, les jardins de Menton sont toujours spectaculaires. Ainsi la simple esplanade garnie de fleurs et d'orangers qu'est le jardin Biovès a-t-elle, certains soirs de printemps, l'allure magique d'un tapis persan. Même envoûtement au palais Carnolès, dont les collections d'agrumes semblent tout droit sorties d'un conte des Mille et Une Nuits. Quelques jardins plus puissants encore offrent à la ville un goût de paradis : la serre de la Madone ou le Val Rahmeh.
En 1924, le major Lawrence Johnston, richissime Américain né à Paris, décide de créer son « paradis terrestre » sur une langue de terre de 7 hectares, au pied du val de Gorbio. Pendant trente ans, ce voyageur infatigable acclimate en secret, dans ce lit douillet épargné par les embruns de la côte, les plantes exotiques rapportées d'Asie, des tropiques ou de l'hémisphère austral. Derrière la ceinture de cyprès prospèrent ainsi Podocarpus, caroubiers, mahonias du Yunnan et nolinas géants. Mais la serre de la Madone ne se résume pas à l'inventaire dépaysant de curiosités botaniques.
Esthète et raffiné à l'extrême, Lawrence Johnston façonne d'instinct les vieilles restanques, organisant l'espace de part et d'autre d'un escalier de pierre pour faire valoir ici une terrasse à l'italienne, là une pergola lavée d'ocre, là encore un mystérieux couple de sphinges en terre de Toscane. Petits mondes ravissants, bruissants de fontaines posées sur des calades, peuplés d'angelots patinés par la mousse, d'éphèbes surgissant des bosquets. Le jardin envoûte progressivement. Peu à peu, il s'élève vers le ciel et découvre, derrière le rideau de scène d'un cyprès du Cachemire, la villa sereine au-dessus des terrasses. Flanquée d'un belvédère en rotonde enlacé de glycines, où le major Jonhston aimait savourer les parfums et contempler le village de Gorbio, elle est parée d'un patio aux azuleros.
On y oublie les libertés que prennent aujourd'hui ceux qui l'entretiennent en remplaçant les subtiles collections de sauges par des plates-bandes de protéas patauds, ou d'ignobles roses d'Inde. Et le charme subsiste, surtout aux abords du jardin d'eau, où les longs miroirs rectangulaires reflètent lotus et papyrus, statues de Provence et vases d'Anduze, et dans la serre où palpitent orchidées et aristoloches.
En 1895, sir Percy Radcliffe, général de l'armée anglaise, veuf de Rahmeh Théodore Swinburne, se porte acquéreur d'une petite « campagne » dans le quartier de Garavan, face à la mer. Une villa nommée Henriette, entourée d'un simple jardin. Quelques oliviers et figuiers, deux ou trois arpents de blé et une source maigrelette échappée de la montagne, suffisante pour irriguer un potager mentonnais.
Mais, en quelques années, Henriette se transforme en une superbe villa habillée d'ocre et chapeautée de tuiles romaines. Elle se pavane, telle une belle andalouse, entre des terrasses fleuries. La « campagnette » se mue en un éblouissant amphithéâtre mariant les plantes d'Afrique, d'Asie et d'Océanie installées par les différents propriétaires. A la fin des années 60, la dernière en date, Miss Campbell, une excentrique amoureuse de fleurs et de plantes rares, préfère mourir dans la misère plutôt que de vendre. Le Val Rahmeh devient, pour une bouchée de pain, la propriété du Muséum d'histoire naturelle. Une chance inestimable. Depuis, le professeur Monnier, ethnobotaniste renommé, préside à sa destinée. Sur la terrasse, longtemps délaissée, les daturas vanille, gerbes d'oiseaux de paradis, et de cordylines enchantent encore, les soirs d'été, les réceptions ou les spectacles qui s'y donnent. Il faut suivre le parfum des agrumes pour rejoindre, à l'arrière, la troupe des éléphants, des cyprès taillés en topiaire, qui font face au lilas de Perse. Puis on aborde la campagne, souvenir de la petite propriété rustique des origines, aujourd'hui peuplée de tabac, khat, pavot, cannabis. Un peu plus loin, le Mexicain, territoire dédié aux stipes, nous entraîne vers le Sauvage et son odeur mouillée des tropiques.
Puis jusqu'à la fontaine Waterfield où frémissent fougères arborescentes, oreilles d'éléphant et philodendrons. Au jardin d'ombre, les avocatiers lourds de fruits, l'actinidia mûrissant ses kiwis et le goyavier de Chine annoncent le jardin des Hespérides, le potager, le jardin d'eau, le jardin sous le mur. Autant de cornes d'abondance regorgeant de fleurs, de fruits, de graines, de parfums, de splendeurs. Des plantes qui n'en finissent pas de raconter des histoires d'hommes.
A la découverte des jardins de Menton
Serre de la Madone : 74, route de Gorbio, 06500 Menton. Tél. : 04.93.57.73.90.
Jardin botanique exotique du Val Rahmeh. Avenue Saint-Jacques. Tél. : 04.93.35.86.72. Ouvert tous les jours sauf le mardi. Visites guidées. Soirées organisées en été. Renseignements : 04.92.10.97.10.
Clos du Peyronnet, avenue Aristide-Briand. Jardin privé. Visites sur rendez-vous exclusivement.
Et aussi...
Jardin d'agrumes du palais Carnolès, jardins de la villa Maria Serena, jardin privé des Colombières, le jardin des Romanciers (en cours de restauration actuellement).
Renseignements : office du tourisme de Menton, palais de l'Europe, 8, avenue Boyer, B. P. 239.