Fille de l'Himalaya, contrainte de descendre de son royaume céleste pour fertiliser la terre, l'irascible Ganga menaçait d'inonder la terre de ses eaux bouillonnantes. Enveloppant la déesse dans son opulente chevelure, Shiva parvint à apaiser sa colère. Et voilà comment le fleuve sacré, le plus long du sous-continent avec ses 2700 kilomètres, prend sa source au confluent de deux torrents pour rejoindre le golfe du Bengale.
C'est à Hardwar, dans l'État de l'Utar Pradesh, qu'il entre dans les plaines du nord. Hardwar : l'une des sept villes sacrées de l'Inde. Chaque année, on y célèbre l'anniversaire de la descente de Ganga sur la terre ; et, tous les douze ans, la grande fête de la Kumbha Mela attire des centaines de milliers de pèlerins sur les degrés de marbre - les ghats - en bordure des flots impétueux. En fin d'après-midi, sous la tour de l'horloge - la Clock Tower, de conception anglo-indienne -, quelques milliers de fidèles sacrifient au rituel quotidien du bain. On vient ici en famille pour se purifier dans les eaux du Gange et lui consacrer des offrandes. On se fraie un chemin entre les nombreux petits temples et les guérites où, pour quelques roupies, des scribes notent dans de grands livres les noms des pèlerins. Sur les berges et les ponts, mendiants, infirmes, sadhus se mêlent aux vendeurs de fleurs et de lampes à huile. Une véritable cour des miracles sur fond tonitruant de psalmodies, relayées par des haut-parleurs crachotants. On fait au fleuve des offrandes de lait et de pièces de monnaie que repêchent des enfants. Au coucher du soleil, dans un concert de cloches, de tambours et de conques, les flots se couvrent de pétales rouges et safran et de milliers de petites lumières, emportés par la violence du courant. Des chaînes ont été fixées le long des ghats pour éviter que les dévots ne soient entraînés eux aussi.
Descendant le cours du Gange, voici Rishikesh: ville sainte, où les ashrams s'alignent le long des berges. On y vient du monde entier pour trouver la plénitude spirituelle. Comme quatre garçons dans le vent, John, Paul, George et Ringo qui, dans les années 1960, avaient trouvé ici leur Maharishi. L'ashram Parmath, l'un des plus prospères, respire la sérénité. Dans ses cours ornées de fleurs kitsch, des cages grillagées exposent des sculptures peintes de couleurs criardes, illustrant des scènes édifiantes : un homme offre à Krishna ses dents en or, un autre porte ses vieux parents aveugles dans des paniers, au bout d'une palanche... Ici encore se mêlent des miséreux et des riches animés d'une même ferveur, des « astrologues védiques » et des enfants au crâne rasé habillés comme des poupées. Échoppes d'artisanat, gargotes enfumées, chants et prières... Au crépuscule, la foule se rassemble sur les ghats, face à une immense statue de Shiva : comme à Hardwar, les coupelles de fleurs surmontées d'une petite lumière sont emportées par le courant.
Au-dessus de Rishikesh, en prenant la route des contreforts de l'Himalaya, on accède aux anciens domaines du maharadja de Theri-Garhwal. Pour recevoir ses hôtes, ce puissant seigneur avait fait construire, en 1895, un fastueux palais où séjournèrent des invités comme lord Mountbatten (le dernier vice-roi de l'Inde) ou Indira Gandhi. Le majestueux édifice dominant toute la vallée, est doté d'un merveilleux pavillon de musique. Il est devenu l'un des hôtels les plus luxueux de l'Inde, célèbre surtout pour son spa : l'Ananda, dont le nom signifie en sanskrit « santé et contentement ».
Ici encore, on prend conscience de tous les paradoxes de ce pays où le luxe le plus extrême côtoie le dénuement total, comme le kitsch se mêle au sacré. Des contrastes qui font partie d'une culture, profondément enracinés malgré l'essor de la modernité.
À l'Ananda, essayer la cuisine, élaborée sous le contrôle d'une nutritionniste, basée sur les principes ayurvédiques qui reconnaît six saveurs (sucré, salé, acide, amer, épicé, astringent) et les préceptes du spa. Selon le chef, Sumit Kumar, « Il doit toujours y avoir une philosophie dans la façon de composer une assiette. » Cuisine à base de riz brun et blé complet, poissons de rivière, légumes préparés au beurre clarifié, assaisonnés d'épices : cumin, gingembre et coriandre aident à la digestion, la cannelle digère les sucres, l'ail est excellent dans tous les cas. Pour rester mince, commencer un repas par un plat chaud (soupe, salade chaude) « entretient le feu intérieur et fournit l'énergie qui brûle les graisses ». Il fallait y penser !