<<En été, on pêche et on fait l'amour. En hiver, on pêche beaucoup moins !>>, dit un dicton lapon. Autrefois, sur cette terre gelée, il n'y avait que des lacs et des montagnes, beaucoup de rennes et quelques hommes, des Lapons appelés Samés, vivant exclusivement de chasse et de pêche. Ici, les « quatre hivers » se prolongent du mois le plus sombre, décembre, au plus lumineux, avril. Juillet-août est le temps du soleil de minuit. A Sääriselka, petite station finlandaise au coeur du parc naturel Urho Kekkonen à 300 kilomètres au-dessus du cercle polaire, le froid s'est transformé en art de vivre.
A l'Auberge de la Perdrix des Neiges, des gamins en après-ski cavalcadent entre les tables, sous l'oeil des renards et des têtes de castors empaillés. On se réconforte en buvant un jus d'airelles chaud. Au menu, escalope de renne ou « king crabe », un spécimen géant pêché dans l'océan Arctique (les plus énormes pouvant posséder des pinces allant jusqu'à 4 mètres de long !). Christophe, notre guide varois échoué dans le Grand Nord, nous a concocté un programme taillé dans la glace, juste ce qu'il faut pour regonfler le moral du citadin en quête d'aventure.
Au petit matin, momifiés dans nos combinaisons, casqués, cagoulés, gantés, bottés, nous nous dirigeons vers nos motoneiges pour une virée pétaradante dans le grand blanc. Le long des sentiers de forêt, les sapins croulant sous la neige se muent en d'étranges formes fantomatiques. Grisé par ce paysage d'une beauté à couper le souffle, on en oublie les creux, les bosses et certains dénivelés qui nous entraînent dans de jolies voltiges dans la poudreuse.
14 heures et il fait déjà noir. Timo, Sana et leurs fils aux visages émaciés de coureurs de piste nous attendent dans leur kota, tente traditionnelle lapone. A l'intérieur, Sana, vêtue d'un costume coloré, regroupe d'un geste sûr les bûches flambantes. Assis sur des peaux de renne, affamés par le grand air, nous avalons un bol de soupe à la crème et au saumon tandis que la jeune femme nous chante « Ja mun lean linkkolas Sapmelas », (« Je suis fier d'être samé »). Il n'y a pas si longtemps, méprisés et humiliés, ces « sauvages blancs » éleveurs de rennes se laissaient interdire la pratique de leur langue, de leurs chants et même, parfois, voler leurs morts. La famille organise des veillées pour les touristes mais continue l'élevage de rennes en semi-liberté.
Nous voici repartis mordre la piste autour du lac Inari, vers un centre d'élevage de huskies. Le thermomètre flirte avec les -9 °C. Une canicule pour un mois de décembre ! Les chiens jappent et grognent d'impatience. Un pied dans la poudreuse, l'autre sur le bord du traîneau, et l'attelage s'élance à toute vitesse. Une heure à ce rythme, suivie par deux autres à motoneige et l'on rentre fourbu, groggy, heureux comme un gosse. Une dernière descente, de nuit, à luge, sera suivie par la juste récompense d'un « sauna fumé » (sauna au feu de bois). On aurait bien aimé contempler une aurore boréale... mais ce surprenant phénomène lumineux qui déchire la nuit de rideaux verdâtres ou rouges mouvants était, ce soir-là, invisible. Trop de nuages. Idem le jour suivant. De nouveau, l'aube bleutée se mue en crépuscule et le soleil se couche sans s'être jamais vraiment levé. Le jour, la nuit, le temps... tout est oublié.
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