Longtemps, pour les voyageurs en Inde, Delhi ne fut rien d'autre que la porte ouverte sur les rêves d'aventures, le passage obligé sur le chemin du Rajasthan et de l'Himalaya. Pour la majeure partie des touristes, l'ancienne capitale des Moghols, avec sa ville nouvelle d'une élégance toute victorienne dessinée par sir Edwin Luytens, faisait figure de grande soeur collet monté face à Bombay l'exubérante, haut lieu des plaisirs un peu louches, livrée au vertige des sens dans les folles nuits de Bollywood. Depuis peu, cependant, la belle au charme austère se dévergonde : une génération d'entrepreneurs, architectes, designers, créateurs de mode invente de nouveaux styles à la mesure d'une bourgeoisie émergente éduquée, enthousiaste et avide de consommer. Avec l'ambition affichée de propulser Delhi dans le club des grandes capitales en pleine effervescence, où s'invente la modernité à l'échelle planétaire. La plupart ont fait leurs classes à Londres, voyagé en Europe comme en Asie. A leur retour, ils ont découvert que, des sultans passionnés d'architecture aux maharajas férus de science, d'astronomie ou d'aéronautique, le goût de la modernité a toujours été inscrit dans la culture de l'Inde, dans son histoire. Ils reprennent à leur compte la célèbre formule signée Le Corbusier - dont on ne saurait oublier la contribution urbanistique à Chandigarh -, pour qui «être moderne n'est pas une mode, c'est un état d'esprit».
Sans doute cet état d'esprit était-il déjà celui du sultan Qutb-ud-Din lorsqu'il ordonna, à la fin du XIIe siècle, la construction du Qutb Minar, monument emblématique édifié selon les normes de l'architecture hindoue revues par le style islamique. Et celui qui animait les empereurs moghols dont les vestiges témoignent d'une double influence, exubérance hindoue et raffinement persan. Leur visite est la meilleure approche du style de New Delhi : la mosquée Jama Masjid, toute de marbre blanc et de grès rouge, les impeccables géométries du Fort-Rouge, l'architecture admirable du mausolée d'Humayun, la rayonnante sérénité qui émane des jardins Lodi où furent enterrés les derniers sultans de Delhi nous étonnent par leur modernité. De merveilleuses promenades à entreprendre dans la lumière limpide du matin, avant que la chaleur moite ne commence à monter et les embouteillages à devenir inextricables. Il fait bon sous les arbres centenaires où s'égosillent des myriades d'oiseaux. Des étudiants relisent leurs cours, des jardiniers balayent mollement les allées, des femmes en sari prennent le thé sur un banc, des amoureux se regardent dans les yeux, allongés sur une couverture orange brodée de petits miroirs comme dans une miniature du Rajasthan. Moments de grâce, qui font oublier les images terribles de la misère qui vous assaillent partout dans les rues, les temples, aux carrefours de l'ancienne Delhi.
Non loin du Qutb Minar, dans les anciennes écuries des empereurs moghols, l'architecte Rajiv Saini a réalisé la boutique Carma, qui figure dans le palmarès des 100 adresses de mode les plus branchées de la planète selon le « Vogue » anglais. Rencontre d'un bâtiment historique et du design qui marque les plus belles réalisations de ce créateur encensé par « Wall-paper ». A son actif, des hôtels de luxe commele Mariott à Goa ou, mieux, le fascinant Devi Gahr au Rajasthan : au nord d'Udaipur, une forteresse du XVIIIe siècle admirablement réhabilitée dans le respect de son architecture originale, mise en valeur par des matériaux nobles et des touches stylisées. A Delhi comme à Bom-bay, Bangkok ou Lon-dres, Rajiv Saini a réalisé de luxueuses demeures privées et des lieux publics comme le Senso, très beau restaurant lounge-bar sur trois niveaux, à la déco ultracontemporaine, béton, cuir et mosaïque de miroirs ethnique chic mais surtout pas kitsch !
Une autre approche : celle du Bed, lounge et restaurant branché. Dans ce décor où se croisent des réminiscences de l'Empire romain et de la médina de Marrakech avec clin d'oeil à Bollywood, le propriétaire a voulu «créer un bar où l'on a l'impression d'être dans son living». Velours fuchsia et mauve, coussins brodés jetés sur de larges divans où une dizaine de personnes peuvent se prélasser à l'aise, cuisine fusion, cigares et narghilés, et les derniers tubes indiens ou hip hop. Au Veda, dont le décor est signé du créateur de mode Rohit Bal, un chef indien passé par les cuisines new-yorkaises mitonne du poulet tandoori farci au mascarpone ou des nans au pecorino... les portions sont minimalistes (pour l'Inde), les filles ravissantes et le public choisi.
Ici encore, la misère est comme mise entre parenthèses. Refoulée, et pourtant omniprésente, l'autre face de cette Inde paradoxale, qui tout à la fois s'avance dans un élan irrésistible, et s'enfonce dans une insondable désespérance. Bars, restaurants, night-clubs sont de plus en plus nombreux à refléter le nouveau visage de Delhi postmoderne, urbaine et sophistiquée. Celui-ci se greffe sans complexe sur les anciens marchés populaires comme Hauz Khas Village ou Dilli Haat, ou se déplace vers les « malls » des nouveaux quartiers résidentiels comme Gurgaon. On y voit fleurir les magasins de vêtements, accessoires, bijoux et objets design, tandis que dans les grands hôtels sont installées les griffes du luxe international, Chanel à l'Im-perial, Louis Vuitton à l'Oberoi. Les créateurs de mode sont désormais légion - avec à Delhi une « Fashion Week » très courue - mais dans leurs boutiques les créations « urban wear » côtoient les saris. On voit se multiplier les salons de thé et de café, souvent associés à des lieux culturels, comme le Cha Bar de la librairie Oxford ou les enseignes Cafe Coffee Day, Barista ou Mocha qui ouvrent des succursales dans tous les quartiers. Dernier objet fétiche des « bobos » : un percolateur ou une machine à café importée d'Italie ou de France, dont le prix extravagant ne semble pas décourager les amateurs. On retrouve là un trait caractéristique de l'Inde de toujours : quel que soit leur niveau social ou leur situation de fortune, les Indiens ont toujours été des flambeurs !
Se loger
Balade de charme à Hauz Khas Village, son marché, ses restaurants, ses boutiques de mode.
Restaurants : le Bed, tél. 556-378-33. Le Veda, Connaught Circle.
Café et thé : Cha Bar, Oxford Book Store, tél. 237-660-84. Passion-My Cup of Tea, tél. 395-759-67. Mittal Tea House, tél. 246-157-09.
Shopping chic (cafés trendy, déco, design, mode, accessoires, etc.) dans les quartiers de Gurgaon, Greater Kailash, Green Park Market.