Elle a bien failli nous retenir. Avec ses temples au bouddha émeraude ou couché, son marché flottant et le charme tranquille de ses klongs (canaux) de Thonburi, labyrinthe d'eau bordé de maisons sur pilotis, Bangkok sait faire oublier son rythme fou. L'envie d'explorer le nord du pays conduit à quitter la capitale pour rejoindre la peti te gare de Hualampong. L'Eastern & Oriental Express, reconnaissable à ses wagons émeraude et crème, est à quai. La locomotive patiente devant vingt-deux voitures, construites par les Japonais dans les années cinquante. Toutes ont été l'objet d'une luxueuse restauration teintée de nostalgie. Le mariage des bois précieux, des appliques en cuivre, des mar queteries, des moquettes épaisses et des tissus aux teintes chaudes transporte d'emblée loin des bruits de la ville.
C'est avec un cocktail à la main qu'on découvre la beauté des cabines dotées d'une véritable douche. Cet élément de confort n'est pas superflu, compte tenu du climat local : les températures flirtent fréquemment avec les 35 °C. C'est depuis le dernier wagon, ouvert sur l'extérieur pour profiter de la vue, qu'il faut s'installer à l'heure où le train s'élance. Assis sur la banquette moelleuse, on laisse Bangkok derrière soi, souriant du ballet des Mobylettes qui patientent aux passages à niveau.
Pour peu que votre cabine soit située à l'une des extrémités du train, atteindre l'un des deux wagons restaurants, en tête, suffit à ouvrir l'appétit. Le parcours d'une voiture à l'autre, couloirs étroits et virages soudains inclus, exige des proues ses d'équilibre.
La maîtrise des serveurs au cours de ce premier déjeuner à bord n'en est que plus remarquable. Le mariage entre gastronomie thaïe et occidentale réalisé par le chef Kevin Cape ne l'est pas moins. Le poisson épicé, cuit avec précision et accompagné d'un risotto à la citronnelle et de légumes thaïs confits mène en douceur jusqu'à la première étape du voyage, Ayutthaya, capitale du Siam de 1350 à 1767. Le passage d'un éléphant richement harnaché détourne un instant l'attention de la beauté sereine des stupas et des vestiges des temples bouddhistes. Une balade sur le fleuve à bord d'une ancienne barge à riz permet, tout en sirotant un thé avec quelques friandises, de gagner le temple Wat Chai Wattanaram et le Palais de la reine, à l'abri des morsures du soleil.
De retour à bord, il faut décider quelle tenue (habillée) sera la plus appropriée pour se fondre dans l'ambiance chic et tamisée du wagon piano bar. Le spectacle de gracieuses danseuses fait patienter jusqu'au dîner dont le curry de poisson façon Singapour ou l'exquise tarte tiède à la mangue font merveille.
Pour conclure, retour au wagon bar. Ne serait-ce qu'en raison du karaoké improvisé autour du piano. Au programme, amicale bataille vocale entre Anglo-Saxons et francophones. La confrontation entre Let it be et La Vie en rose peut traîner jusqu'au bout de la nuit...
La lumière traverse les persiennes, quelques coups discrets frappés à la porte et l'odeur du café matinal... Une seconde journée débute. Déjà, le train approche de Changmai, la capitale artisanale de la Thaïlande, également surnommée «la rose du Nord».
Ce sont pourtant les orchidées, les ombrelles peintes à la main et les temples étincelants d'influence birmane qui fleurissent dans la seconde ville du pays. Point de départ pour aller à la découverte des ethnies montagnardes, des parcs nationaux et du centre de sauvegarde des éléphants, Changmai mérite un séjour prolongé. Il est d'ailleurs possible de suspendre ici le voyage à bord du train. Un châle de soie chatoyant, acheté avant de remonter à bord, protégera d'une climatisation parfois excessive. D'autant que l'aventure vous attend au détour d'un wagon. La bonne aventure. Une voyante chinoise est du voyage et consulte gratuitement dans une petite pièce réservée aux révélations. L'avenir immédiat ne réserve que des bonnes surprises. Qu'il s'agisse de la troisième étape, une courte pause dans le charmant village de Lampang, où l'on circule encore en calèche, ou bien d'une seconde soirée bercée par les mouvements lents et l'atmosphère feutrée du convoi.
Au matin du troisième jour, l'Eastern & Oriental Express atteint Kanchanaburi et la rivière Kwai. Le pont mythique a été reconstruit. L'émotion est forte dans les allées du cimetière des Alliés. Elle s'impose aussi lorsqu'en début d'après-midi, le train émeraude qui se fondait dans le paysage luxuriant du Nord est de retour à la gare de Bangkok. La grande pendule indique qu'il est l'heure de reposer les pieds sur terre.