Le lagon bleu ourlé de sable blanc, le doux frémissement des palmes ondulant sous les alizés, la plage alanguie dans le parfum des frangipaniers... Rêve du Robinson que porte en soi chacun de nous, fantasme des amants épris de solitude à deux, ne demandant qu'à vivre d'amour et d'eau salée, dans cette nature intacte comme au premier matin du monde... On s'y croirait ! Pourtant, dans ce merveilleux paradis, presque tout est artificiel.
À l'origine, un caillou ingrat sur l'océan Indien. Sa superficie a été portée à 44 hectares, créant ainsi la terre la plus vaste des Maldives, et son niveau surélevé à deux mètres au-dessus de la mer avec la création de 6 kilomètres de plages. Pour cela, 1 500 000 tonnes de sable y ont été déversées. Pour compléter le paysage, on y a planté des milliers de végétaux, dont 15 000 palmiers. Il a fallu implanter des installations pour dessaler l'eau de mer et produire de l'électricité. Trois mille ouvriers et artisans ont construit, en deux ans, des maisons de teck dans un style tropical contemporain : hauts plafonds cathédrales et vérandas où circulent les alizés, baignoires avec vue sur le lagon. Et tout ce qu'il faut pour organiser la vie luxueuse de 300 clients servis par 600 employés logés sur place : restaurants à fleur d'eau, cave à vins de 9 000 bouteilles, piscines en pierre de lave noire avec lit d'eau incorporé, équipements sportifs, spa voluptueux, « kids-club », village pour le personnel...
Sur cette « île déserte » très civilisée, où l'on accède, depuis l'île aéroport de Malé, en hydravion ou yacht privé, on circule à bicyclette ou dans de petites voitures électriques silencieuses. On se croit seul au monde dans les « Beach Villas » enfouies dans une luxuriante verdure ; les « Water Villas » donnent directement sur le lagon où ondulent des poissons multicolores. Comme nombre d'îles-hôtels des Maldives, c'est le lieu idéal pour une retraite sentimentale, voyage de noces ou lune de Pacs. Balades en mer et expéditions plongée sont prévues pour les sportifs.
Derrière ce projet fou en apparence, qui repose en réalité sur une opération de marketing bien ciblée, un homme : Sol Kezner. Ce Sud-Africain s'est fait connaître pour des réalisations hôtelières comme le pharaonique Sun City en Afrique du Sud, le délirant Atlantis aux Bahamas. Ou encore, à Dubaï, l'impressionnant Royal Mirage ou encore depuis 2008, Atlantis The Palm. Ce mégalo est aussi le créateur de la griffe « One & Only » pour des villégiatures proposant le charme des tropiques et le luxe d'un palace, à l'île Maurice, au Mexique, aux Maldives. Le Reethi Rah (« la belle île» en dhivehi, la langue du pays) est sa dernière folie.
Selon les géologues, ces atolls perdus sur des lagons turquoise, isolés par leurs barrières de corail au milieu de l'océan bleu marine, seraient condamnés à disparaître. Derrière ce paradis rôde une sourde menace, devenue plus perceptible depuis le tsunami, qui n'a causé ici que peu de dégâts. Sans doute ce paysage d'une indicible beauté nous semble-t-il d'autant plus émouvant que nous le savons en danger.