Entre douceur et fureur de vivre, on ne choisit pas, on prend tout. D'un côté, jardins clos, venelles fleuries et passé composé. De l'autre, la légende, les rumeurs de la fête. Et le cap sous le soleil exactement. Sachez aussi qu'il y a deux gares, deux codes postaux, mais un seul maire.
Antibes la discrète
On peut passer à côté. Il y a Nice d'un côté, Cannes de l'autre. Entre les deux, Antibes, plus de deux mille ans d'histoire, un passé gréco-romain, un passage napoléonien. Mais si discrète qu'on ne la voit d'abord pas. Et ce serait dommage, car cette ville de marins et de jardiniers reste unique. Longtemps cité guerrière caparaçonnée de remparts, elle décide en 1896 de voir autant que d'être vue. On abat les murailles, et voici le port Vauban, le fort Carré, les tours sarrasines, l'antique château Grimaldi devenu le musée
Picasso, la mer toujours recommencée... Depuis lors, les étrangers n'en finissent pas de découvrir cette belle désarmée. Au cœur des venelles fleuries, c'est toujours Babel en miniature. Des Hollandais sympathisent avec les Antibois en partageant la bûche à Noël ou le vin après les vendanges dans le quartier du Safranier, commune libre du vieil Antibes.
Une manière de convivialité où l'on ne " cherche pas à faire le beau ", comme le dit Jean-Paul , " le " boulanger d'Antibes, qu'on dirait sorti d'un roman de Pagnol. Le distraire de son fournil, c'est l'assurance de pousser les portes d'un paradis aussi accessible qu'inattendu. Hélé par l'un ou l'autre, il parle patois, hausse le ton et galèje en remontant sur le marché provençal au milieu des saucissons de Tony et des épices de Fanny. On peut aussi se taire en regardant les criques et se balader sur les remparts. Un soir, il faudra aller dîner aux Vieux Murs, le nouveau restaurant de Philippe, fils de Victor et petit-fils de César, les patrons de la plage Keller. Avant d'aller boire un verre au Latino ou à l'Ancre de Chine, repaires des marins en goguette sur le boulevard d'Aguillon, à moins de retourner chez Mamo au Michelango déguster ses raviolis avec Michel Carletto, le taxi des stars.
Drôle d'oiseau
Il fut un oiseau de nuit, au temps où le Queen n'était pas encore le Queen, puis le directeur des programmes de Radio Alouette, la radio libre du Puy-du-Fou, au temps des pionniers. Un jour, il a voulu se poser. Ici, justement, où il est chargé de communication à l'office du tourisme. Renaud Duménil est tombé amoureux de l'endroit sans en connaître l'histoire, il s'est bien rattrapé depuis. " Le Plaisir déployé, 1900-1960 ", son troisième tome sur Antibes et Juan-les-Pins, vient de sortir aux éditions Équinoxe, et c'est déjà un succès.
Les gens d'ici sont d'abord soupçonneux, mais ils l'aiment bien, cet " estranger " si différent d'eux. Sourires, trois mots par-ci, une plaisanterie par-là, il y a des détails qui ne trompent pas. De toute façon, des excentriques, ils en ont vu d'autres, les autochtones...
Renaud porte une cravate en plein été ou presque, fume comme un sapeur et n'arrête pas d'écrire. On a vu pire !
Antibes l'authentique
Le gentleman du cap
Il sait tout, il a tout vu, tout compris. Les dîners chez Florence Gould à la Vigie, le jazz sous les étoiles et les débuts incertains de Johnny à Juan... Son " Antibes, l'Éden retrouvé ", un florilège (publié à la Table ronde) de textes d'écrivains qui ont rêvé sur Antibes, est un modèle du genre. Savoureux, éclectique et joyeux. Pierre Joannon connaît le coin comme sa poche.
" C'est la Californie de l'Europe, un monde cosmopolite où se croisent, sans toujours se rencontrer, oligarques russes, hommes d'affaires de la monarchie saoudienne et quantité d'Américains. " " Diplomate sur les bords ", comme il se définit lui-même, et consul général d'Irlande depuis 1973, ce gentleman irlando-antibois, fou de littérature et écrivain lui-même, vit aux Chênes verts, une superbe villégiature où résida Jules Verne. Est-ce là, sur sa terrasse face à la Méditerranée, qu'est née l'idée d'un prix littéraire Jacques-Audiberti ? Depuis 1989 en tout cas, le jury consacre l'œuvre solaire d'un écrivain déjà reconnu. Durrell, Lacarrière, Déon ou Raspail l'ont obtenu.
Picasso en son château
Sublime tableau avec nymphe dansante, centaure, faunes et fifres sur fond de Méditerranée, " la Joie de vivre " est un chef-d'œuvre de Picasso. On peut le voir au musée qui porte son nom, en haut des remparts, et nulle part ailleurs. " Qui veut voir les Picasso d'Antibes doit venir à Antibes ", c'est ce qu'il disait lui-même. Il y est resté six mois en 1946, au château Grimaldi, qui abrite aujourd'hui les toiles qu'il a laissées là en cadeau à la ville, ainsi qu'une très belle collection de céramiques.
Une splendeur étourdissante pour un ballet de nymphes endormies, sortant de l'eau ou s'étirant devant des faunes agenouillés de profil, des centaures barbus au trident... et tout le monde très heureux. Comme il le fut lui-même avec Françoise Gilot, sa compagne d'alors, femme-fleur dans l'œuvre antiboise et la mère de Claude et de Paloma. Jean-Louis Andral, l'actuel conservateur des musées d'Antibes, y est lui aussi très heureux, l'œil rieur et le sourire aux lèvres, préparant mille projets. .
Classique et de bon ton
C'est toute la fine fleur de la musique classique qui vient se produire ici chaque année début juin. Hélène Grimaud, Nicolas Angelich, Claire-Marie Le Guay et beaucoup d'autres ont fait leurs débuts au Chantier Naval Opéra, lors du Festival international du jeune soliste, à Antibes depuis plus de trente ans.
La musique classique vit à Antibes sur tous les tons, c'est son fleuron.