Terrasses et bassins, statues et portiques, kiosques et belvédères… Entre l'immense palais du Hradschin, résidence des rois de Bohême, et ceux des grands de l'empire des Habsbourg qui bordent la rue Wallenstein (Valdstejnska utca), ont été dessinés au xviiie siècle d'exquis jardins baroques. Amoureux d'une nature plus libre, le xixe siècle romantique avait brisé leurs subtiles géométries. Dans les années 1950, le régime communiste s'attelait à une première « restauration » de ces lieux qu'une démocratie populaire se devait d'ouvrir au public. Ce fut un saccage. Là où jadis s'ébattaient nymphes et dryades, demi-dieux et créatures fantastiques, le réalisme socialiste allait imposer ses figures d'ouvriers au marteau triomphant et de paysans à la faucille militante. La grande fresque des jardins du palais Ledebour, qui représentait une bataille du Saint Empire contre la Sublime Porte, vit disparaître l'Autrichien et l'Ottoman au profit du soldat de l'armée Rouge et de la robuste campagnarde en costume traditionnel. Puis les jardins furent à nouveau fermés au public, tandis que montait la paranoïa des apparatchiks du régime, installés dans l'ancien palais, vivant dans la hantise des espions. Quand survint la révolution de Velours, les jardins baroques n'étaient plus qu'informes broussailles.
Après une restauration totale avec l'aide d'une fondation présidée par le prince de Galles et le président Havel, soutenue par la Communauté européenne, six des jardins de la rue Wallenstein ont retrouvé quelque chose de leur éclat de jadis ; les autres, aux mains d'ambassades étrangères, attendent encore des jours meilleurs.
En dépit de quelques erreurs dans le choix des matériaux et des végétaux, c'est l'une des merveilles de cette ville qui en regorge. Un pur enchantement, un lieu hors du monde. On y découvre un panorama envoûtant, qui permet d'embrasser d'un seul regard l'ensemble des tours et des coupoles qui animent la cité : des tours de Saint-Jacques ou de la Poudre, du côté de la vieille ville, jusqu'à l'église Saint-Nicolas à Mala Strana, en passant par le beffroi de l'hôtel de ville, la tour astronomique du Clementinum, celles qui gardent le pont Charles, alors que tout au fond se profilent les clochers sur la colline de Vysehrad.
On peut accéder à ce havre de paix depuis les hauteurs : au pied du palais Lobkowicz dominant les innombrables terrasses qui dévalent la pente en cascades irrégulières. Ou bien y pénétrer par le bas, depuis le palais Ledebour, avec sa sala terrena et sa magnifique loggia baroque, véritable salon en plein air. Tout y est calme, serein et joliment proportionné. De là, on découvre l'ensemble des murs qui retiennent les terrasses et une végétation qui demande un peu plus de maturité. On passe au petit jardin Pälffy, tout simple, presque campagnard avec ses arbres fruitiers sagement palissés, puis au palais des comtes Pälffy, aujourd'hui conservatoire de musique. Si les escaliers monumentaux confèrent une certaine théâtralité au jardin Ledebour, celui des Pälffy a plus de charme, avec son terre-plein baigné de musique, agrémenté d'un bassin, et ses nombreuses terrasses comme autant de jardinets intimes où se reposer, lire et méditer. Autre parc bucolique, celui des comtes Kolovrat ; le petit jardin Fürstenberg qui le jouxte accumule tous les ornements dont peut rêver une âme baroque : kiosque très théâtral, portiques, serres, loggia à la balustrade ornée du putti et belvédère à bulbe, le tout dominant le palais des princes et jouxtant le grand jardin Fürstenberg passé aux mains de l'ambassade de Pologne.
Partout fontaines et bassins ont été restaurés, mis en eau, ces espaces rendus à leur ordre ancien, tandis que les arbres fruitiers toisent les lauriers roses en pots et que les parterres offrent leurs variétés de fleurs. Chacun des six jardins ménage au promeneur une infinité de jeux de perspective, surprises savantes, recoins intimes où l'on s'abandonne à la contemplation du site Pour en apprécier tout le charme, il faut s'y attarder longuement, s'asseoir sur un banc, avec à ses pieds l'ondoiement formé par la multitude des toits de Mala Strana, écouter chanter l'eau, jouir du son d'un violon, d'un piano, d'une harpe qui s'échappe du palais Pälffy, de ces notes de musique qui enchantent l'atmosphère comme les fleurs l'embaument l'air.
Raphaël de Gubernatis
Un musée pour le XXe siècle
Planté sur l'île de Kampa, non loin du pont Charles, cet ancien moulin est un bâtiment sévère, ancré entre un parc délicieux et les eaux de la Vltava. Une Tchèque revenue d'exil en a fait un admirable musée. L'histoire de Meda Mladkova, exilée en 1948, éditrice d'art en Suisse (éditions Sokolova), amie de Kupka, aujourd'hui septuagénaire, mériterait d'être contée, comme celle de la lutte qu'elle dut mener contre l'administration tchèque pour imposer ce musée d'art moderne consacré aux artistes d'Europe centrale qu'étouffaient les régimes marxistes. Elle devait en faire don à la capitale. Ravagé, à la veille de son ouverture, par les terribles inondations d'août 2002 qui emportèrent dans les flots de la Vltava un nombre considérable d'œuvres d'art, le musée n'ouvrit finalement ses portes qu'un an plus tard. D'ores et déjà, il figure comme un élément majeur pour Prague, ville presque exclusivement tournée vers un passé magnifique, et à qui manquait cette indispensable ouverture sur la seconde moitié du xxe siècle
AUBERGES DE JEUNESSE PRAGUE