Sainte-Croix se trouve à 1 050 m d'altitude, en haut d'une cluse. Un petit train rouge y monte en trente-cinq minutes depuis Yverdon-les-Bains. Un écureuil sportif est peint sur ses flancs, tantôt vététiste, tantôt fondeur, ou encore randonneur ou snowboardeur. L'animal est la mascotte de cette région (bien) nommée «le balcon du Jura vaudois». Villages et hameaux s'éparpillent sur une trentaine de kilomètres. Les crêts culminent à 1 600 m, 1 607 m très exactement pour le Chasseron, qui domine la petite station des Rasses.
L'ascension hivernale de ce sommet s'effectue à raquettes exclusivement. Le sentier grimpe à travers la forêt de sapins, d'épicéas et de hêtres, des foyards comme on les appelle en Suisse. Sangliers, chamois, chevreuils et lynx ont laissé leurs empreintes dans la neige. Leurs traces s'ingénient à croiser celles des marcheurs. L'accompagnateur explique comment les reconnaître. C'est l'occasion de s'arrêter pour souffler. A l'arrivée, là-haut sur la montagne, une grosse pierre signale un noeud tellurique. Elle libère des ondes bénéfiques à condition, dit-on, de ne pas s'y éterniser plus de vingt minutes. A deux pas, l'Hôtel du Chasseron, quatre chambres et deux dortoirs, propose un repos et une fondue bien mérités. Vous trouverez aussi une auberge de jeunesse.
Outre ses 25 km de sentiers pour raquettistes, ce Balcon jurassien offre une centaine de kilomètres de pistes de fond. Ainsi qu'un domaine de ski de descente lilliputien (20 km desservis par sept téléskis), comme souvent dans le Jura. Mais en vacances en famille, ces pentes feront le bonheur des plus jeunes, souvent réfractaires à la marche et à la glisse nordique.
Le Grand Hôtel des Rasses rayonne d'un charme serein et désuet. Il a plus de 100 ans, construit à la fin du XIXe siècle pour accueillir les premiers hivernants, des Anglais essentiellement. Malgré la toute récente rénovation de ses quarante chambres, il flotte entre ses murs comme un parfum de fleurs séchées, nostalgique, suranné. La salle à manger panoramique est d'époque, ainsi que les boiseries et les meubles du salon. A l'entrée, une cage de verre abrite un ravissant manège de chevaux de bois miniature. Une pièce d'un franc suisse (0,65 €) glissée dans la fente et il se met à tourner, tourner... sur un air démodé. Comme ceux d'hier, les enfants d'aujourd'hui le regardent, yeux brillants et bouche bée.
Sainte-Croix est la capitale mondiale de la boîte à musique et des automates. Naguère encore, jusque dans les années 70, tout le monde ici vivait de cette industrie de précision, qui comprenait également la fabrication de gramophones, radios, tourne-disques (Thorens et Paillard) ainsi que des machines à écrire (Hermès) et caméras (Bolex). La concurrence asiatique a eu raison de cette production. Il ne reste plus que la maison Reuge, dont le fondateur, Guido Reuge, a eu la bonne idée de créer un musée. Ce Centre international de mécanique d'art (Cima) abrite des merveilles. Telle la première machine à musique à disques souples, née en 1900, baptisée «symphonion» et payante : l'ancêtre du juke-box.
Au milieu du XIXe siècle, le Jura vaudois avait décidé de partager ses spécialités entre deux régions. Boîtes à musique et automates furent donc octroyés à Sainte-Croix et ses environs. Tandis que la vallée de Joux héritait de l'horlogerie. Cette haute vallée – 1 000 m d'altitude moyenne là encore, des crêts jusqu'à 1 600 m et le Mont-Tendre (1 678 m) pour géant – se trouve à deux pas de la frontière française. Sa vie se concentre au bord d'un lac qui porte son nom. Et son activité industrielle a, elle, perduré.
Entre usines de montres et sous-traitants, une trentaine de fabriques s'égrènent de villages en hameaux. Hormis Rollex, basée à Genève, toutes les grandes marques (Bréguet, Audemars-Piguet, etc.) sont là. Que les esthètes se rassurent. Ces fabriques n'ont rien de commun avec des complexes industriels polluants. Ce sont de petits bâtiments, plutôt bien intégrés au décor. La vallée de Joux fait d'ailleurs partie de la «Watch Valley», un itinéraire qui mène de Genève à Bâle, tracé récemment par les autorités touristiques de la Confédération. Toutefois, les ateliers ne se visitent pas.
Industriel ou non, le tourisme intéresse peu les Combiers (nom des habitants de la vallée). Alors que le Jura français s'échine, lui, à séduire les vacanciers. L'été, le lac de Joux fait recette avec la baignade et les sports nautiques. Mais l'hiver, la vallée sommeille sous sa couette de neige et les hôteliers proposent toute la saison d'attractives promotions. La région possède pourtant 220 km de pistes nordiques (ainsi qu'une ribambelle de sentiers à raquettes et quatre inévitables minuscules domaines alpins). Autant dire que sur ces vastes étendues, ou à travers bois, on ne se bouscule pas.
Par bon enneigement – et c'est le cas en ce moment –, les skieurs chaussent à la porte de leur hôtel (du Sentier, du Brassus, du Pont...), à deux pas du lac gelé ou juste devant. Sur leurs planches fines et légères, ils glissent dans le silence et le froid. Pas alternatif (skis parallèles dans des rails de neige tracés par les machines) ou skating (style pas du patineur), choisissez une technique et apprenez-la avec un moniteur. La glisse nordique ne s'improvise pas. Et, contrairement à ce qu'imaginent les habitués des Alpes, le Jura n'est pas plat.