Un pays dont les deux héros bien-aimés sont un poète romantique autant que progressiste - France Preseren (1800-1849) - et un architecte novateur - Joze Plecnik (1872-1957) - dont l'hymne national célèbre le vin et l'amitié, un pays qui pousse l'originalité jusqu'à vénérer un arbre, le tilleul, ce pays-là ne force-t-il pas d'emblée la sympathie? Longtemps atypique dans le bloc socialiste, la Slovénie, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, sut dès 1991 tirer son épingle du jeu politique risqué de la fédération yougoslave et se proclamer république indépendante, devenant peu après membre associé de la Communauté européenne. L'anecdote vaut d'être rapportée: depuis la fin des années 80, les «autonomistes» avaient pour signe de ralliement une feuille de tilleul portée en broche, ce qui, paraît-il, faisait enrager les autorités de Belgrade.
La Slovénie doit peut-être à Napoléon son premier sursaut nationaliste. Elle fut en effet l'une des six éphémères Provinces Illyriennes (1809-1813) qu'il créa pour contrer la domination des Habsbourg, et c'est en libérateur qu'il y avait alors été accueilli. Il apportait avec lui le vent des Lumières. «Réveille-toi, Illyrie!»: son appel, qu'on peut lire sur le monument du Soldat inconnu, place de la Révolution, en plein centre de Ljubljana, ne pouvait qu'être entendu. Bientôt, l'idéalisme exigeant de Preseren allait à son tour faire vibrer le pays. Une statue de celui-ci domine la place principale de la ville. Représenté en pied, il a les yeux tournés vers la maison qu'il habita et dont une muse nue orne aujourd'hui la façade. Le poète avait éconduit plus d'un portraitiste, et c'est de mémoire, après sa mort.
Quant à Plecnik, il est omniprésent, et son style en quelque sorte intemporel, mêlant l'héritage méditerranéen à celui d'Europe centrale, ne jure pas avec les magnifiques édifices anciens - église des Ursulines, cathédrale Saint-Nicolas... - de la capitale slovène, où, durant un siècle et demi, le baroque exprima, parfois de façon exacerbée, l'esprit de la Contre-Réforme. A la splendide bibliothèque municipale du XVIIe siècle, laissée en l'état, sans chauffage ni lumière artificielle, répond en écho la bibliothèque universitaire qu'il conçut comme le lieu d'une ascension métaphorique: des ténèbres de l'ignorance vers l'univers éclairé de la culture.
Ljubljana compte quelques exemples très séduisants du style sécessionniste - variante de l'Art nouveau venue de Vienne - dont un étonnant immeuble de 1910 dû à Ivan Vurnik et peint par sa femme dans les tons rouges de la poterie slovène. Il ne faut pas manquer non plus ces deux «monuments historiques» que sont le Centromerkur de 1903 - ancêtre des actuels supermarchés, couronné par le dieu grec du Commerce - et l'Empire State Building local, un gratte-ciel de 12 étages, construit dans les années 20.