Au Mexique, il ne reste plus guère de trains. Mais, dans le nord du pays, l'un, le Chihuahua-Pacifico, traverse les paysages les plus spectaculaires du monde. Train de plaisir, train de touristes ? Pas seulement. Car le «Chepe» – c'est son surnom – est aussi le seul moyen de transport pour atteindre les recoins de la Sierra Madre.
Le contrôleur portait une veste et un pantalon noirs, un gilet gris, une chemise blanche à noeud papillon. Son chapeau de forme carrée s'ornait d'une plaque dorée sur laquelle était écrit le nom du maître :«Chepe». Il se tenait à la portière. De sa poche, il avait sorti un fin mouchoir blanc avec lequel il avait astiqué la barre en cuivre qui longeait le marchepied. Sur le quai, un tabouret permettait aux voyageurs de monter plus aisément. S'occupant de leurs valises, l'homme les conduisait à leur place, vers de larges fauteuils de couleur verte et rouge qui étaient, avec le jaune, celles de la compagnie. Tous foulaient une moquette fatiguée à qui, plus tard, un balai mécanique, interminablement passé, tenterait de redonner du lustre. Mais là encore l'appellation «Chepe» était gravée dans le vieux tapis en lettres orgueilleuses pour rappeler à qui l'aurait oublié qu'on était dans un équipage prestigieux.
A ces moments-là, le Chepe se sentait l'égal des trains de légende européens comme l'Orient-Express. Il lui arrive ainsi de se donner des grands airs. De temps en temps, il s'offre ce petit plaisir. Pourtant, au fond, il s'en moque. Qu'importe l'apparence. On pensera de lui ce qu'on voudra. Lui restera muré dans sa solitude, réservé. Puisque l'important est de ne pas se livrer trop facilement et l'essentiel de refuser à l'autre le pouvoir terrible de connaître ses faiblesses, ses peurs et ses hantises. Alors le Chepe se retient. Il goûte son triomphe en avaricieux. Il ne jouit du résultat de ses efforts que seul. En ce sens il est semblable à ses cent millions de compatriotes. C'est vraiment un train mexicain.