Arriver par la mer à La Valette, c'est entrer dans un livre d'histoire. Bien sûr, quelques constructions modernes, çà et là, quelques grues et de gros paquebots ramènent à la réalité de notre XXIe siècle, mais, hormis cela, tout semble en l'état... D'abord, des fortifications, hautes et puissantes, ceignent la ville et confèrent à la capitale de Malte son impressionnante allure de «place forte la plus forte d'Europe», selon le mot de Bonaparte. Autour du grand port naturel large, de 800 mètres, s'ordonnent les différents quartiers de la ville, tous bâtis dans ce calcaire couleur de miel qui donne son unité à toute l'île.
Installé sur un dghajsa (prononcer daïsa) - une petite gondole décorée de couleurs vives - le visiteur découvre les vieilles cités de Vittoriosa (la Victorieuse), de Cospicua (l'Eminente) et de Senglea (l'Invaincue), protégées par leur double ligne de remparts; il longe la magnifique façade du Musée maritime, lève le nez sur le vénérable fort Saint-Ange, dépasse la chapelle Sainte-Anne... A proximité de la haute mer, le vent souffle fort. Le petit bateau vire de bord, il se dirige vers l'autre rive, s'approche de l'immense hôpital des Chevaliers, des jardins de l'Upper Barrakka, du fossé si impressionnant qui sépare Floriana de La Valette...
Si cette ville a été entièrement pensée pour repousser les assauts ennemis, c'est qu'en 1530, lorsque les chevaliers s'installèrent à Malte - grâce à la générosité de Charles Quint, qui leur offrit l'île en échange d'un faucon empanaché - ils avaient déjà vécu bien des péripéties. Chassés de Jérusalem, de Saint-Jean-d'Acre et de Rhodes, ils avaient pour mission de venir en aide aux pèlerins et n'avaient qu'un souci: se protéger contre les Ottomans. Ils firent mieux, repoussant définitivement l'ennemi juré lors du Grand Siège, en 1565.
Les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean trouvèrent refuge ici, mais sans grand enthousiasme. «Malte, décrivent leurs émissaires, n'est guère plus qu'un rocher de pierre tendre... à peine recouvert de trois ou quatre pieds de terre, sans source ni puits...» Située à mi-chemin d'Alexandrie et du détroit de Gibraltar et à 100 kilomètres seulement de la Sicile, l'île est alors une escale importante pour les commerçants, et sert aussi de refuge aux pirates. Depuis qu'il a été découvert par les Phéniciens, qui le nommèrent Malat, ce bout de terre inhospitalière a attiré toutes les convoitises: Grecs, Carthaginois, Romains et Byzantins passèrent ici, puis les Arabes, qui laissèrent fortement l'empreinte de leur langue. Les chevaliers de l'ordre, eux, allaient rester deux cent soixante-huit ans. Les 28 grands maîtres qui se succédèrent métamorphosèrent l'archipel. Riches lorsqu'ils arrivèrent, les chevaliers le devinrent plus encore après leur décisive victoire devant le sultan: reconnaissants, les grands rois de la chrétienté leur envoyèrent quantité de dons sonnants et trébuchants, que l'ordre dépensa sans compter pour embellir son nouveau fief...