Implantée dans un site naturel privilégié que beaucoup de capitales européennes peuvent lui envier, Budapest mérite les nombreux dithyrambes auxquels on l'a habituée. Celui de «Reine du Danube» n'est pas sans évoquer un faste et une prestance évidents; la seule mention du fleuve, élément indissociable de sa beauté, rappelle que cette ville fut longtemps le symbole d'un pont entre l'Orient et l'Occident.
Le «beau Danube bleu», dont certains esprits chagrins trouveront la couleur sans doute largement surestimée, forme l'épine dorsale d'une cité miroitante qui s'étale sur presque 15 kilomètres. Aimant autant que frontière au cours de l'Histoire, le fleuve oppose ses neuf ponts aux deux rives de la cité, Buda la verte et Pest la grise. Car Budapest est une réalité récente. Longtemps ses deux rives eurent une évolution distincte, et ce n'est qu'en 1873, par décret impérial, que Buda, Obuda et Pest furent réunis en une seule et même cité. Auparavant, les rives de Buda, plus agréables, avaient accueilli la plupart des résidences aristocratiques. Le pouvoir royal magyar ne vint pourtant s'y installer qu'au XIIIe siècle (après s'être longtemps établi plus au nord, dans une boucle du Danube). C'est à l'époque romaine que Buda connut son apogée sous le nom d'Aquincum. La garnison militaire qui la fonda au Ier siècle de notre ère avait pour mission de protéger le limes, la frontière qui les séparait du «monde barbare». Les vestiges exhumés par les archéologues se visitent aujourd'hui sur la berge occidentale du Danube, au nord d'Obuda, très ancien bourg dont le nom signifie «Vieux Buda».
Au centre de la cité moderne s'élève le mont Gellert, rocher surplombant le Danube. Ses pentes aménagées en terrasses témoignent de l'implantation d'un oppidum celtique. Du reste, impossible de manquer la colline de Gellert, dont le nom évoque un saint chrétien chargé d'évangéliser la Hongrie, mort en martyr, précipité du rocher, en 1046. Sa gigantesque statue, blottie aujourd'hui dans la pente verdoyante d'un immense jardin public, lorgne vers l'Orient, tout comme celle, plus monumentale encore, installée au sommet du mont pour commémorer la libération de Budapest par l'Armée rouge, en 1945. Comme une parenthèse dans la ville, les sentiers qui sillonnent le rocher forment un lieu privilégié pour prendre le pouls de la capitale, partagée entre la nonchalance des collines de Buda et la frénésie tout urbaine de Pest.
Au pied du rocher jaillissent certaines des plus prestigieuses sources d'eaux thermales qui font la notoriété de Buda. On attribue souvent à l'occupation turque, qui dura un peu plus de cent cinquante ans à partir du XVIe siècle, la découverte et l'utilisation de ces sources. En fait, il semble bien que leur vraie paternité soit romaine, voire celtique. Pas question, en tout cas, de quitter la ville sans avoir goûté aux plaisirs des bains: on peut aller se tremper, par exemple, dans celui au charme Art nouveau de l'hôtel Gellert, ou bien encore dans ceux, plus antiques, du Rudas ou de Kiraly, aux origines ottomanes. Passer de bain en bain - toujours plus chauds et vaporeux - sous une lumière tamisée, que distille parcimonieusement une voûte percée de vitraux multicolores, a quelque chose de fascinant. En outre, leurs vertus curatives ne sont plus à démontrer. Pour s'en convaincre, il suffit de privilégier les premières lueurs matinales en se mêlant aux Budapestois, qui font là une pause avant d'aller travailler, et aux noctambules, en quête de reconstituant tonique.
Après avoir profité des nombreux atouts que propose une capitale culturelle digne de ce nom, vient celui de goûter aux plaisirs de sa table. Sur ce point, la Hongrie n'est pas avare de spécialités que l'on saura accompagner d'un vin réputé. Le fameux tokay, «vin des rois et roi des vins», bénéficie d'une image de prestige derrière laquelle se cache une vraie culture populaire du vin, que l'on pourra appréhender dans des endroits appropriés, les borozo, tout comme l'amateur de bière possède un temple dédié à son breuvage, le sörözö.
Plus raffinés, les cafés littéraires furent, au tournant du siècle précédent, les quartiers généraux d'une bohème littéraire et artistique restée célèbre dans les annales budapestoises. Vides aujour-d'hui de ceux qui firent leur renommée, les cafés subsistants n'en demeurent pas moins des exemples d'une architecture souvent flamboyante (tel le New York, à l'étonnant décor éclectique) et constituent toujours le passage obligé pour qui veut déguster, dans un cadre somptueux et parfois délicieusement suranné, les fameuses pâtisseries dites «viennoises». Pour les sorties nocturnes et plus branchées, le périmètre central de Pest possède un large éventail de lieux qui permettent de prolonger agréablement la nuit.
Retrouver une certaine virginité semble aujourd'hui la quête de cette ville, désormais au centre d'une nouvelle Europe en voie de formation. Entre tradition et modernité, Budapest tente de pérenniser sa beauté, gommant parfois injustement les aléas d'une histoire récente, qu'elle tente d'oublier. Les curieux en mal de nostalgie ne doivent pas s'attendre à trouver à chaque coin de rue les stigmates d'un temps décomposé. La ville a fait peau neuve et, désormais, les vestiges du style réaliste socialiste font la joie des collectionneurs. Leur paradis se nomme Ecseri, le marché aux puces, qui recèle, dans un imposant bric-à-brac, les trésors issus des poubelles de l'Histoire.
Les chineurs invétérés peuvent aussi arpenter celui du Varosliget ou «Bois de la ville», havre de verdure en plein Pest, qui accueille également la seule source de cette rive-ci du Danube, le bain Szechenyi. Quelle que soit la saison, on ne manque pas d'y apercevoir des joueurs d'échecs aquaphiles, déplaçant leurs pions sur des échiquiers flottants.
Aux prémices du printemps, du haut d'un point culminant des collines de Buda, que l'on rejoint par un tram à crémaillère, s'élance le chemin de fer des Pionniers. Instrument de propagande des jeunesses communistes, ce train miniature est aujourd'hui encore administré par des enfants, chefs de gare et contrôleurs en culottes courtes, très respectueux de leur panoplie d'emprunt et du règlement qu'elle implique. Parcourant l'amphithéâtre des collines de Buda par ses lignes de crête, le convoi traverse sous-bois et landes, offrant de-ci de-là des plongées panoramiques exceptionnelles sur la métropole. D'ici, on pourrait convenir que Buda n'est pas loin d'incarner la boutade d'Alphonse Allais, qui rêvait d'installer les villes à la campagne!
Autre reliquat socialiste, le parc Szobor ou «parc des Statues», sorte de «socialist land» du rebut artistique, implanté en bordure de Budapest. On y déambule dans un émouvant cimetière de statues, issues des canons de la propagande et arrachées aux diverses places de la ville.
Mais qu'on ne se méprenne pas, Budapest n'a rien d'une ville musée imbibée des relents d'une splendeur passée. Pour preuve, avant que le projet ne soit finalement récusé par l'alternance politique, Budapest se proposait d'accueillir une Exposition internationale en 2016. Gageons que ce n'est que partie remise.