il est 6 h 30. Les façades multicolores de Marina Grande s'illuminent doucement. Le funiculaire se prépare à sa lente ascension un peu brinquebalante vers la ville de Capri, parmi les citronniers géants, les oliviers et les cultures en terrasses. Au port, l'île s'apprête à accueillir les bateaux qui vont déverser, comme chaque jour, des milliers de touristes en quête d'une célébrité prenant son cappuccino à la terrasse d'un café de la Piazzetta ou venus admirer la célèbre grotte Bleue, l'une des beautés naturelles de Capri.
Non loin, perchée sur les hauteurs, ruines tendues vers le ciel à la recherche de l'Olympe, la villa Jovis, ancienne résidence de l'empereur romain Tibère, domine sereinement la péninsule de Sorrente et le golfe de Naples. En face, la capitale de la Campanie s'agite déjà et tente de digérer tant bien que mal ses déboires footballistiques, son vacarme incessant, tandis que ses églises baroques et son Musée archéologique - l'un des plus beaux du monde - offrent des atouts culturels incontestables. Sur la colline de Pausilippe, quelques amoureux prolongent la nuit tout en contemplant le Vésuve, la baie aux couleurs bleutées et les îles voisines dont Capri est le joyau.
Cette île n'est pas simplement un bout de terre long de 6 kilomètres et large de 3 kilomètres planté dans la mer Tyrrhénienne. C'est une légende perpétuée par les histoires les plus folles et, selon Oscar Wilde, «une beauté supérieure au génie et qui se passe de commentaires». Et pourtant, il y a beaucoup à raconter.
En 31 avant Jésus-Christ, le futur empereur Auguste fut l'un des premiers à succomber à tant de charmes. Séduit par les côtes escarpées et par trois rochers spectaculaires, les Faraglioni, situés à la pointe de Tragara, il échangea avec Naples Capri contre Ischia, pourtant plus grande et plus riche. Mais qu'importe! La fascination était telle que son désir l'emporta sur la raison. Son fils adoptif, Tibère, construisit par la suite 12 villas dédiées aux 12 dieux de l'Olympe censés le protéger contre d'éventuelles agressions. De la villa Jovis, sa résidence principale, bâtie sur 7 000 mètres carrés et érigée sur le mont Tibère, l'un des sommets de l'île - le principal est le mont Solaro, 589 mètres - il régna sur son empire durant les dix dernières années de sa vie, apaisé momentanément dans sa folie paranoïaque. Mais, selon l'historien Tacite, sa retraite était surtout motivée par le désir de donner libre cours à ses vices soigneusement cachés à Rome. La légende affirme qu'il fit aménager plusieurs grottes de l'île en nymphées signalées par le biographe latin Suétone comme les lieux de sa débauche.
Autre résident de marque, le fils du magnat allemand de l'acier, Friedrich Alfred Krupp, qui aimait séjourner à Capri. Il recevait des hôtes illustres comme Gorki ou Lénine dans sa villa qui domine la mer, située près des jardins d'Auguste, plantés sur d'anciennes ruines romaines. En 1900, l'industriel fit construire la via Krupp, «la plus belle route du monde», comme il la surnomma. Elle dévale les escarpements, du Quisisana (édifice aujourd'hui rénové en hôtel de luxe 5 étoiles), dans la ville de Capri, à la Marina Piccola, en bordure de mer. Le sentier tout en harmonie avec la nature serpente délicieusement entre les roches calcaires et les eaux turquoise qui s'engouffrent dans des criques inaccessibles.
Enfin, que penser du médecin suédois Axel Munthe? Il s'installa dans le bourg d'Anacapri en 1896 et fit construire la villa San Michele sur les ruines de l'une des 12 maisons de Tibère. Henry James affirmait au sujet de cette demeure qu' «il n'est pas d'autres lieux où tant de beauté et de poésie s'allient à une si complète vacuité». Adepte de l'écologie, Munthe sauva les pauvres de Naples de l'épidémie de choléra, devint le gourou de la reine de Suède et affirma sa dimension mystique dans un écrin de nature et de liberté.
Renseignements
A Paris
Office du tourisme d'Italie. 23, rue de la Paix, 75002 Paris; 08-36-68-26-28; www.enit.it
A Capri
Office du tourisme. Piazzetta I. Cerio 11, 80073 Capri; 00-39- 081-837-06-86; www.capri.it
Téléphoner
De France à Capri: 00-39-081 + numéro local.
Se loger
A Capri
Auberges de jeunesse et BB:
B&B Bettola del Re
Via Rio Linciano 33, 80071 Anacapri, Italie
Se restaurer
Restaurant et Pizzeria Bel Sito.Le restaurant est tenu par la chaleureuse famille Tarantino. Agréable terrasse. La cuisine est familiale: pizzas excellentes et large choix de pâtes. Essayer celles à l'encre de seiche. Environ 20 euros. Via Matermania 9-11, à Capri; 837-09-69.
Biberius. L'un des meilleurs restaurants de Capri. Bon accueil et décor très sobre. Cuisine originale qui met à l'honneur les produits du sud de l'Italie. Grand choix de vins italiens. Environ 30 euros sans le vin. Via Stella Orta 10, à Capri, 837-04-31.
Da Paolino. Un décor exceptionnel puisqu'en saison les tonnelles sont couvertes de citrons géants. Les plats s'inspirent des agrumes de l'île et la gastronomie est à la hauteur de cet endroit magique situé entre la mer et Marina Grande, bien caché dans la verdure à l'ombre d'un sentier. Environ 19 euros. Via Palazzo a mare 11, à Capri; 837-61-02; fax 837-56-11.
Voir et faire
La Piazzetta. Charmante petite place au cœur du bourg de Capri. Pour ses terrasses de café et pour bien comprendre le mot farniente.
Eglise San Michele. Merveilleusement perdue dans un jardin fleuri.
Villa Jovis. Les ruines de la demeure impériale de Tibère et une vue fantastique.
Tour de l'île en bateau. Embarquement à Marina Grande. Très sympathique par beau temps. Le tour dure environ 2 heures.
Balades à pied. Nombreux chemins faciles - inaccessibles aux voitures - parmi les villas cachées dans la végétation quasi tropicale.
Mont Solaro. Excursion au sommet de l'île en télésiège ou à pied. Vue extraordinaire.
Lire et voir
Naples et Pompéi (Guides Gallimard); Naples, Pompéi et la côte amalfitaine (guide Voir, Hachette); toute l'oeuvre de Félicien Marceau, dont Capri petite île (Le Rocher); A. Moravia, Le Mépris(Livre de Poche); C. Malaparte, La Peau et Kaputt (Folio); Le Mépris de Jean-Luc Godard, avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli et la villa Malaparte.
Les fabuleuses couleurs de la mer, du ciel et de la roche ont apporté à Capri une nouvelle touche mythique que le célèbre film Le Mépris (1963) mit parfaitement en exergue. Jean-Luc Godard ne s'y trompa pas en choisissant pour décor la demeure de l'écrivain controversé Curzio Malaparte. Isolée sur un promontoire rocheux surplombant la mer, balayée par les embruns, couleur grenat sur fond azur, l'originale villa semble toujours attendre le retour de la Brigitte Bardot du Mépris, allongée, nue, sur le toit- terrasse, timidement protégée par un muret arqué blanc. Appartenant depuis peu à une fondation aux objectifs incertains, ce lieu idyllique reste à jamais attaché à un symbole esthétique parfait et ce film, ancré dans la mémoire des cinéphiles, demeure l'une des oeuvres majeures du 7e art.