Les habituelles portes d'entrée de Chypre, celle où le tourisme est véritablement développé, sont Larnaca et Paphos. Quel que soit l'aéroport international retenu, le premier regard est identique et se pose sur un défilé d'immeubles anonymes qui jalonne le rivage. L'autoroute, excellente, renforce la fonctionnalité de ces ensembles construits pour des séjours en bord de mer strictement calibrés. «Après l'invasion par les Turcs, en 1974, du nord de l'île où se trouvaient les stations balnéaires, on a reconstruit dans l'urgence sur la côte sud pour reloger les personnes déplacées et continuer à accueillir les touristes», raconte Zoé Koutsidou, un des guides du pays. Avec presque 2,5 millions de visiteurs par an pour 650 000 habitants dans la République officielle (ils sont 200 000 au nord, du côté turcophone), le pari est gagné.
Au grand plaisir des amateurs de farniente qui trouvent ici une gamme étendue d'hôtels, quelques-uns rivalisant même avec le standing des meilleurs palaces. Mais il y a mieux: ceux qui aiment déchiffrer un pays derrière ses lignes d'immeubles et fouiner au-delà de ses façades de front de mer, découvrent une île bien différente, toute de simplicité et d'authenticité.
A une quinzaine de kilomètres à l'est de Limassol, la plus bétonnée de ces stations, Tochni, est un paisible village aux solides maisonnettes de pierres accrochées à flanc de colline. A l'ombre de la tonnelle du bistro de la place, on s'attable selon l'heure devant un café «chypriote» ou «grec» (surtout pas turc, bien qu'il soit servi de la même façon: bouilli avec le marc!), un ouzo ou bien le sacro-saint rituel du mezze, un défilé de petits plats remplis de tarama, concombres au yaourt, feuilles de vignes farcies, boulettes de viande, pilpil, porc mariné, brochettes géantes, courgettes farcies, mouton et pommes de terre à l'étouffée... Même les plus affamés arrivent avec difficulté à bout de l'escalade!
C'est également sur cette terrasse qu'on vient chercher les clés de sa maison de location. Tochni est le berceau des Cyprus Villages (1), une association créée en 1987 par Sofronis Potamitis autour d'une maison ancienne qu'il avait retapée. «Après mes études d'économie à Berkeley, je voulais retrouver mon île», explique ce «village-boy», comme il s'appelle lui-même, qui ne concevait pas de vivre ailleurs qu'à la campagne. Son objectif: sauvegarder des maisons traditionnelles pour accueillir les vacanciers et permettre ainsi aux villageois de rester chez eux grâce à cette nouvelle économie. Dix-sept ans après, Cyprus Villages a étendu son territoire à une dizaine de hameaux, principalement situés dans le voisinage de Tochni.
Les normes sont rigoureuses: pas de maisons neuves, mais d'anciennes demeures restaurées dans le respect de la tradition, avec pierres apparentes, balcons en bois, toits de tuile et, seules concessions au modernisme, une piscine creusée au milieu du patio ainsi que la climatisation. Elles se louent en entier ou bien par appartement. La décoration n'est pas luxueuse mais de bon goût avec un confort sans façon. On partage parfois son toit avec le propriétaire. Et, si ce n'est pas le cas, celui-ci (ou Sofronis lui-même) n'est jamais bien loin pour donner aussi les clés de l'île. Celle des sentiers forestiers du Troodhos, ombragés de pins d'Alep, de chênes ou de cèdres. Celle des champs d'asphodèles de la grande plaine du sud et des criques désertes (des zones entières sont interdites de construction) nombreuses hors des grandes stations (Agia Napa, Larnaca, Limassol et Paphos). Celle du large en embarquant à l'aube sur une barque de pêche.
A la ferme Drapia, à 5 kilomètres de Trochni, Marissa, l'épouse de Sofronis, élève des chevaux dans un cadre enchanteur. Après explication du caractère de chaque monture (il y a des chevaux pour les cavaliers de tous niveaux), elle conduit sa petite troupe sur des sentiers sauvages à l'ombre des orangers et des caroubiers qu'elle suit d'un trot paisible. Ou bien pousse droit vers la mer toute proche pour de belles cavalcades entre les rochers. On peut aussi, selon la saison, participer à la cueillette des oranges (de novembre à juin) qu'on attrape une à une à même l'arbre ou au ramassage des olives (novembre à mars) tombées dans les grands filets tendus au pied des arbres.
Mais le plus singulier de la région reste le spectacle d'une centaine de chèvres rousses aux longues oreilles de cocker dont le lait sert à fabriquer le halloumi, un fromage odorant souvent dégusté grillé. Robe noire et fichu assorti, Mme Evlambia gère troupeau et bols de lait dans une sympathique baraque où les normes européennes y perdraient leur latin...
Quant aux clés des merveilleuses églises et couvents byzantins du Troodhos (neuf sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco) aux voûtes ornées de fresques sous lesquelles reposent des icônes aux sourires mystérieux, elle dépend de l'humeur du pope!
Aujourd'hui, le modèle des Cyprus Villages, qui marie logement rural et activités assorties, a fait école. Six cent soixante-dix chambres (2) sont réparties dans une trentaine de villages situés un peu partout dans l'île: dans les régions de Paphos, l'Akamas, Limassol et le Troodos. Tant et si bien qu'on peut même déménager en cours de séjour pour s'imprégner plus encore du charme de l'île d'Aphrodite.
(1) Cyprus Villages (tél.: 00 357.24 332 998 et www.cyprusvillages.com.cy). Forfaits comprenant les transferts en taxi, le logement, les petits déjeuners et une voiture de location pendant une semaine,
(2) Société chypriote de vacances en gîte rural (tél.: 00 357.22 340 071 et www.agrotourism.com.cy).