Un archipel battu par les vents à l'ouest de l'Irlande. Les îles d'Aran sont trois ancrées devant la baie de Galway à moins de trois heures de vol direct de Paris plus une heure de traversée maritime pour gagner la plus grande et la plus éloignée Inishmore à environ 18 km des côtes. Ce n'est pas loin. Mais sur la mer qui comme le ciel éructe sans qu'on y prenne garde, les randonneurs n'ont qu'une hâte : que la terre ferme paraisse enfin.
«Ce fut d'abord un roc lugubre qui s'élevait obliquement pour se perdre dans le brouillard» raconta l'écrivain irlandais John Synge (prononcer à l'anglaise sing) quand il découvrit l'île il y a plus de cent ans .
Le Connemara pointe à quelques encablures. Mais l'on se sent bien loin de cette région veinée d'eau et gorgée de molles tourbières. Inishmore longue de 14 km sur 3 de large est le «champ de rocs nus» décrit par Synge. Mais pas seulement. Des murets de pierre sèche serpentent sur toute l'île. Comme si les paysans depuis des temps immémoriaux amassaient les pierres qui l'encombrent. La muraille quadrille de menus pâturages ensemencés d'algues de sables et de limon recueilli dans les interstices des dalles de calcaire. Au milieu filent des chemins doucement vallonnés. Certains évoqueraient de jolies voies romaines si l'on ne savait déjà que les pavés sont l'oeuvre de la seule nature.
«Vous rencontrerez 780 habitants 70 moutons et 3 églises» avait lancé à l'arrivée un îlien de Kilronan le village principal. Non seulement les insulaires irlandais furent très tôt évangélisés mais «Inishmore fut dès le Vesiècle un foyer religieux où les moines venaient en formation» précise le guide Allibert, le voyagiste organisateur de la randonnée . Il pointe du doigt au bord de la falaise les vestiges du «plus vieux monastère d'Irlande construit en l'an 490».
Aujourd'hui la pêche n'est plus la seule ressource de Kilronan. On y vit aussi du tricotage à la main de pulls en pure laine tels qu'en portent encore les marins. Et du tourisme vert. Les amateurs de nature et d'espaces apprécient en outre l'accueil simple et chaleureux des bed & breakfast installés dans des cottages aux murs blancs dont les occupants parlent un mélange d'anglais et de gaélique.
L'endroit n'est plus aussi «désolé» que Synge le découvrit en son temps. Mais il reste relativement désert surtout en cette période de l'année, le marcheur pouvant ne croiser quasiment personne durant toute une journée. Une atmosphère singulière baigne ce bout de terre doublement insulaire (les îles d'Aran dépendant de l'île d'Irlande) si étroit que les embruns le traversent littéralement. De partout l'on voit poindre la lisière des flots. Par endroits se dressent d'étranges monolithes tels des menhirs acérés.
Inishmore culmine sur ses contours, falaises gigantesques de centaines de mètres à l'aplomb de la mer. Les plus spectaculaires sont à Dùn Aegus où se trouve juché un fort en demi-lune tourné vers le large depuis trois millénaires. Le randonneur saisi d'un délicieux vertige s'allonge alors au bord du précipice visage au-dehors et regard plongeant vers l'abîme. Tout en bas l'océan contre le roc explose en gerbes d'écumes. Et retombe en brume vaporeuse sur les pingouins et mille oiseaux de mer nichés dans les recoins.