Salvador. Ville nègre. Capitale de la douleur. Terre d'accueil où les esprits de l'Afrique rencontrèrent les saints et les anges du baroque portugais pour se fondre mystérieusement en un culte syncrétique empreint de passion et de ferveur. C'est dans cette cité aux innombrables églises ancrée sur la « Baie de Tous les Saints » que prennent pied les voyageurs en route vers cette côte bahianaise où les attendent les plus belles plages du monde.
Fondée en 1549, Salvador fut la première capitale du Brésil, édifiant sa richesse sur la canne à sucre et le trafic des esclaves. De ces origines, violence et sang mêlé, est née une culture profondément métissée qui a toujours fasciné les Français (en témoignent les œuvres d'anthropologues et de photographes comme Pierre Verger ou Marcel Gautherot), beaucoup plus que les Bahianais eux-mêmes qui, s'ils revendiquent leurs racines noires et pratiquent couramment les rituels du candomblé, ont quelque réticence à adhérer à une image pour eux peu valorisante, trop évocatrice de misère. Pour conjurer les démons de ce sombre passé, la grande senzala où étaient enchaînés les esclaves est devenue musée d'Art moderne, et le quartier du Pelourinho (« pilori ») a été superbement restauré autour de la maison où vécut Jorge Amado. Mais si les ruelles coloniales résonnent toujours des tambours d'Olodum et des célébrations des Filhos de Gandhi, elles sont livrées aux touristes pour un bain de couleur locale : carnaval et timbaladas, berimbau et capoeira, ou vendeuses d'acarajé (sorte de beignets fourrés aux crevettes) en robes de dentelle. La vraie vie bahianaise s'est déplacée vers d'autres quartiers : Rio Vermelho, où converge chaque année une foule vêtue de blanc, chargée de fleurs et d'offrandes, pour la fête de Iemanja, divinité de la mer ; Barra et sa jolie plage populaire, entre le phare et l'ancienne forteresse : lieu historique, car c'est ici que, pour la première fois, Amerigo Vespucci prit pied sur la Baie de Todos os Santos. Et plus loin encore, dans les favelas et les cités résidentielles poussées comme des champignons sur la route de l'aéroport et des plages du Nord vers la Costa dos Coqueiros (« des cocotiers »). A Lauro de Freitas, faubourg mystique de Salvador, se trouve l'une des plus grandes concentrations (plus d'une soixantaine) de terreiros, sortes de paroisses du culte syncrétique des orixas où officient les babalorishàs et les mães dos santos (« mères des saints »). On atteint ensuite une région où le riche patrimoine écologique est protégé. Arembepe, découvert dans les années 1970 par Caetano Veloso, Gilberto Gil ou Mick Jagger. Costa do Sauipe, un lieu privilégié pour l'observation des tortues marines grâce à la mise en œuvre, depuis 1980, du « Projeto Tamar ». A Praia do Forte, un aquarium de plein air qui fait la joie des familles est consacré à ces animaux étranges, malheureusement enfermés dans des bassins trop étroits. Ici,à 50 km de Salvador, commence la Linha Verde (« ligne verte »), un magnifique littoral protégé… qui n'empêche pas la construction de très nombreux « resorts » touristiques et de luxueux condominiums. Cet itinéraire vert se poursuit sur 142 kilomètres jusqu'aux dunes sablonneuses de Mangue Seco qui marquent la limite de l'état de Bahia.
Retour à Salvador. C'est de la Baie de Tous les Saints qu'on embarque pour les îles. En ferry pour Itaparica, ses petites localités au parfum colonial et ses 40 kilomètres de plages, rendue célèbre par le romancier João Ubaldo Ribeiro et son œuvre majeure, « Vive le peuple brésilien ». En catamaran pour Morro de São Paulo, à la pointe de l'île de Tinharé, voisine de celles de Cairu et Boipeba où vivent encore des tortues.
La masse d'une forteresse construite en 1830 accueille les voyageurs débarquant à Morro de São Paulo, aussitôt mis dans l'ambiance, les pieds dans le sable, leurs bagages hissés sur un taxi-brouette car les véhicules à moteur sont interdits. Bars, restaurants, boutiques bordent la sablonneuse rue principale. On y rencontre des personnages hauts en couleurs et des artistes comme le peintre Bene Ribeiro, propriétaire avec sa femme d'une petite pousada. Chacune des plages – bordées de pousadas et de « resorts » à dimension humaine – a son ambiance : la « secunda », jeune, trépidante, noctambule, s'illumine le soir, la « quarta » est secrète et élitiste, d'autres familiales ou sportives. Une balade autour de l'île, à pied ou en barque à moteur, dévoile criques, bains d'argile, petits ports et îlots plantés de manguiers sauvages. Des anses sablonneuses scintillent au soleil, dominées par d'imposantes forêts couronnées de palmiers. On fait halte sur des plages désertes creusées de piscines naturelles ou des bancs de sable à fleur d'eau découverts à marée basse.
On est ici au large de la Costa do Dendé (« la côte de l'huile de palme ») avec la péninsule de Maraú, villégiature prisée des Bahianais qui a conservé de belles architectures portugaises du xviiie siècle et compté Saint Exupéry parmi ses illustres visiteurs. A l'embouchure du fleuve Una, l'immense baie de Camamu (la plus grande du Brésil après celles de Todos Santos et de Guanabara) est le paradis des amateurs de voile et de sports nautiques.
Plus au sud, Ilhéus, Itacaré et Canaviéiras jalonnent la Costa do Cacau (« du Cacao »). Ce paradis écologique, préservé grâce au cacaoyer qui ne pousse qu'à l'ombre, déploie sur des kilomètres une forêt dense et luxuriante ourlée de plages de sable fin, intactes comme au premier jour. On y trouve encore des domaines vastes comme des départements français, parfois investis par les « Sans Terre » qui en appellent au Président Lula. Et des îles de rêve transformées en « resorts » de luxe, comme celle de Comandatuba où l'Hôtel Transamerica et son spa griffé « L'Occitane en Provence » accueillent les stars du foot et du cinéma (comme Julia Roberts). Itacaré, village de pêcheurs dominé par une petite église, héritage des Jésuites, est une station balnéaire branchée dont les plages font les délices des surfers. La région fut jadis sous la botte des « colonels du cacao », ces propriétaires terriens à la richesse légendaire, qui rêvaient de faire d'Ilhéus un petit Paris des tropiques : en costume clair et panama, ils fréquentaient le Bataclan où se produisaient des filles venues de Paris et de Buenos Aires et allumaient leurs cigares avec des dollars. La guerre mondiale, puis la maladie du « balai de sorcière » qui décima les arbres provoquèrent une double crise qui précipita leur ruine. Mais la ville garde encore des rues bordées de ravissantes demeures coloniales… Et la maison jaune où vécut Jorge Amado, transformée en petit musée. Sur le mur, une citation du pape des lettres bahianaises : « Aqui nasceram os sonhos e cresceram os illusoes (1). » C'est ici qu'il écrivit ses premiers livres, réglant ses comptes avec la bonne société d'Ilhéus… ce qui n'empêche pas de nombreux cafés et restaurants de porter le nom de son héroïne Gabriela.
Plus au sud encore, voici la Costa do Descobrimento (« la découverte ») autour de Porto Seguro : une terre chargée d'Histoire, où, le 22 avril 1500, débarquèrent les caravelles de Pedro Álvares Cabral, le « découvreur » du Brésil. De nos jours, cette petite ville tranquille voit chaque été s'abattre sur ses 17 kilomètres de plages, des hordes de jeunes touristes assoiffés de soleil, de musique et de cocktails à base de gachaça (le redoutable tord-boyaux local) qui arpentent, des nuits entières, la passarela do àlcool. Un bac permet de franchir le fleuve aux fonds sableux pour gagner Arraial d'Ajuda, paradis des hippies dans les années 1970, cher aux noctambules et aux amateurs de paradis artificiels, qui s'enorgueillit d'être le berceau de la lambada. Une route remplace désormais la piste de terre rouge qui permettait d'atteindre Trancoso, paisible village enfoui dans de luxuriants jardins tropicaux, villégiature d'artistes comme Gal Costa ou Elizabeth et Christian de Portzamparc.
Voici enfin la Costa das Baleias (« des baleines »), face à l'archipel des Abrolhos, un parc national marin à l'écosystème unique. C'est ici, à Nova Viçosa, que le grand sculpteur brésilien d'origine polonaise Frans Krajcberg vit et travaille au cœur de sa Fondation. Dans ce vaste domaine, il a reconstitué, autour de sa maison perchée dans un arbre en majesté, la végétation tropicale menacée par les plantations d'eucalyptus cultivés pour la pâte à papier. Ainsi, dans ces forêts où parlent les esprits, se conjuguent depuis plus de 500 ans les arts et l'histoire, la splendeur de la nature et la folie des hommes, parfois leur grandeur. Ultime témoignage de cette « terre en transes ».
(1) « Ici naissaient les rêves et croissaient les illusions ».
INFOS PRATIQUES
Faire la fête
A Salvador, le carnaval est caractérisé par les trio eletricos, camions sur lesquels sont embarqués des musiciens qui traversent toute la ville, suivis par les groupes des blocos (les quartiers). De nombreuses fêtes sont liées à la religion et au culte des orixas : Lavagem
de Bonfim (vers la mi-janvier), fête de Iemanja (en février), etc.
Se restaurer
Transmise par les femmes, la tradition culinaire bahianaise comprend de délicieuses spécialités comme la moquequa ou le bobo de poissons ou crevettes cuisinés à l'huile de palme et au lait de coco. Le samedi, on partage en famille ou entre amis la feijoada, le dimanche le cozido (sorte de potée locale) En ville, des restaurants élégants proposent unegastronomie moderne et sophistiquée. Quelques repères :
à Salvador, Trapiche Adelaïde (Tél. 326-2211) et Galpão (Tél. 266-5544) sont les adresses chics dans d'anciens bâtiments portuaires rénovés façon design ; Pereira (Tél. 264-6464) est l'adresse branchée de Barra, tandis qu'à Rio Vermelho, le Paraiso Tropical (Tél. 335-0557), dans un ravissant jardin, est mode et décontracté. A Morro de São Paulo, Le Ponto do Encontro. A Itacare, le Beco das Flores (251-2174), ambiance « people », pizzas à la mode brésilienne et show du propriétaire en travesti… une tradition bahianaise !
Lire
De João Ubaldo Ribeiro, « Vive le peuple brésilien » et « Le Sourire du lézard » (Le Serpent à plumes). De Jorge Amado, « Bahia de tous les Saints » (Gallimard) et « Gabrielle, girofle et cannelle » (Stock).
Et aussi, « Maîtres et Esclaves » du grand sociologue brésilien Gilberto Freyre (Gallimard).
Ecouter
D'une exceptionnelle richesse musicale, avec des créateurs comme Gilberto Gil, Gal Costa, ou plus récemment Carlinhos Brown, Bahia a vu monter l'influence du reggae en concurrence avec la tradition « Axé Bahia », tandis que des chanteuses comme Ivete Sangalo ou Daniela Mercury sont les reines du carnaval.