C’était une île de carte postale – des plages de sable blanc, des cocotiers, des palmiers et quelques somptueuses propriétés, à deux encablures de Nassau, la capitale des Bahamas. Elle portait jadis le nom de Hog Island – l’île aux cochons. Dans les années 1960, opportunément rebaptisée Paradise Island, elle servit de cadre à un James Bond de grande cuvée, «Opération Tonnerre». Puis ce fut l’inauguration du premier hôtel-casino, et les touristes commencèrent à débarquer en masse. Aujourd’hui, ils n’ont même plus besoin de prendre le bateau: on leur a construit un pont.
Les plages sont toujours là, mais Paradise Island vit désormais à l’ombre des tours d’Atlantis, le complexe touristique le plus étonnant jamais imaginé. Un parc aquatique de 120 hectares, trois hôtels de 2300 chambres, un casino, 11 piscines et autant de lagons, une quinzaine de restaurants, des dizaines de boutiques, 10 courts de tennis éclairés la nuit, un centre de remise en forme et une marina capable de rivaliser avec celle de Monte-Carlo, le tout dans un décor de cité engloutie. La démesure, façon Las Vegas. On pouvait craindre le pire, le carton-pâte, les files d’attente et les effluves de hamburgers, mais même la très minoritaire clientèle européenne, peu portée sur les paradis artificiels, s’avoue impressionnée. A l’image des Royal Towers, murailles de (faux) grès rose hérissées de clochetons de (faux) bronze et reliées entre elles par un appartement suspendu, l’architecture à la fois massive et baroque nous projette dans un roman de Jules Verne. A l’intérieur, les volumes extravagants, les éclairages a giorno font oublier les inévitables kitscheries en stuc. Et les vraies stars d’Atlantis sont, bien sûr, les poissons.
Séjourner ici, c’est en effet vivre au cœur même du plus vaste habitat marin du monde. Des ombres noires glissent dans les lagons: requins, barracudas ou poissons-scies. Sous l’hôtel, on parcourt, bouche bée, «the Dig», un dédale de ruines imaginaires, peuplé de crustacés, de mérous et de gigantesques raies mantas. On peut dîner – très correctement, d’ailleurs – en contemplant les hésitations synchronisées d’un banc de carangues jaunes ou les ballets de méduses fluorescentes. L’un des toboggans qui serpentent dans la végétation tropicale débouche dans un tunnel transparent, au milieu des squales. On en ressort le cœur palpitant, et on en redemande! Les enfants, évidemment, sont les premiers à s’approprier cet univers extravagant. Reste à leur expliquer que le paradis a un prix et qu’il faudra bien, un jour, rentrer à la maison.
Sol Kerzner, le créateur d’Atlantis, a de la suite dans les idées. Pour celles et ceux qui sont allergiques aux mondes préfabriqués, il a également rénové l’Ocean Club, juste à côté, célèbre pour ses jardins en terrasses, ses statues de marbre et son cloître du xiie siècle importé de France par William Randolph Hearst – Citizen Kane lui-même – puis rebâti pierre par pierre. Le domaine s’est enrichi d’un très beau golf (18 trous, par 72), en bordure de mer, et d’un luxueux spa aux parfums d’Extrême-Orient. Son premier propriétaire l’avait baptisé «Shangri La» – un autre style de paradis.