Au Brésil, un autre Nordeste
Cette région a longtemps été l'enfant pauvre du Brésil. Puni par la sécheresse pendant des décennies, le Nordeste déploie enfin tous ses charmes à l'aune d'un tourisme florissant. De Jericoacoara à Sao Luis, itinéraire en bord d'Atlantique, dans une région encore peu fréquentée.
On en connaît surtout Bahia et tous ses saints. Depuis quelques années, de nouveaux itinéraires se dessinent sur ce territoire à la démesure du Brésil : 1,5 million de km2 que se partagent neuf États. Un autre Nordeste, celui des États du Ceara, du Piaui et du Maranhao, celui de l'ouest et du soleil couchant. Une terre de mer, de sable et de vent que seuls les pêcheurs, à bord de leur jangada (radeau) accostaient. Ces embarcations, icônes maritimes du Brésil, partagent aujourd'hui leur domaine avec les buggys et la bien nommée Toyota Bandeirante, du nom des défricheurs de terres qui arpentaient le pays à l'époque coloniale.
Il faut rester dans la capitale le temps de s'acclimater au soleil et au Brésil. Dans le vieux port ou le long de la beira-mar, sur le marché de l'artisanat ou au sein des musées et du centre culturel du Dragon, ou encore en haut des balcons du magnifique théâtre Art nouveau consacré à l'écrivain brésilien José de Alencar, on traquera des bribes d'histoires sur cette région, une des plus sèches, une des plus pauvres du pays. Et une des plus belles. «Il faut partir à l'ouest», répètent les Fortalezenses. «C'est là-bas que le soleil se couche.»
Alors, direction l'ouest, le poente, et Jericoacoara, village devenu mythique par son nom, certainement, et par sa plage. Une route à l'intérieur des terres permet de gagner les environs en huit heures. Le bus s'arrête brutalement dans un village de la côte. «Au-delà, il n'y a plus de route», explique le chauffeur. Les passagers embarquent dans une jardineira, un camion aménagé pour rouler entre plage, eau et dunes.
Au loin, trois palmiers pointent au-dessus d'une mer de sable. Le camion contourne une dune, débouche sur une oasis : Jericoacoara. Le village compte trois rues de sable. On y trouve l'essentiel : hôtels (pousadas), restaurants, supérettes et l'incontournable forro, lieu dédié à cette musique typique du Nordeste. La place principale, c'est la plage. Ici, on donne ses rendez-vous, les pêcheurs embarquent, on applaudit les joueurs de foot, on danse la capoeira. C'est ici surtout que chaque soir, il faut grimper sur la dune du por-do-sol (coucher du soleil) pour saluer l'astre roi.
Le voyage se poursuit par la plage, à l'ouest toujours, en buggy désormais. Seuls les natifs du cru connaissent ces routes sauvages qui évoluent au gré des caprices de l'océan et du sable. Il faut déjouer les marées, reconnaître les dunes, surtout les mouvantes, passer en bac les marigots ou les étangs interdunaires. Chaque virage révèle un nouvel univers : une forêt engloutie par l'Atlantique, une plage interminable, des dunes à perte de vue ou un village de pêcheurs, Tatajuba d'abord, Camocim ensuite.
A Camocim, le buggy s'arrête devant un obstacle infranchissable, le delta du fleuve Parnaiba qui se jette dans l'océan dans un dédale inextricable de bras et d'îles. Les déplacements s'effectuent alors sur de gros bateaux en bois bariolés (embarquement plus facile près de Parnaiba). Sur le pont, des hamacs balancent et le regard s'habitue doucement au nouveau paysage, vert profond. Sur les rivages, quatre types de palmiers, juçara, buriti, carnauba et babaçu, dominant «le mangue», la mangrove. Les hiboux et les guaras, majestueux échassiers rouges, accompagnent la navigation.
De l'autre côté du delta, le sable et la mer reprennent leurs droits. La côte est désormais celle de l'Etat du Maranhao. A partir du petit village d'Atins, on pénètre dans le parc national des Lençois. Des déferlantes de sable ont dévoré plus de 155 000 hectares pour donner naissance à un océan de dunes. Cet ensemble géologique exceptionnel, parc national depuis 1980, possède deux identités. «L'été, c'est le Sahara», résume un guide. L'hiver, les pluies inondent les étendues blanches et ardentes. Au creux des dunes se créent alors des lacs naturels aux eaux froides, bleues et cristallines. L'eau redessine le paysage, l'exalte, le fertilise.
Ce désert est d'une beauté envoûtante et cruelle. Une centaine de familles le peuplent. Elles ont installé leurs cabanes à l'ombre de manguiers géants. Dans les dunes, la vie commence quand la nuit tom be. Des enfants aux yeux verts et aux che veux brûlés transforment une butte de sable en terrain de foot géant. Des femmes sont allées chercher du bois sec pour allumer des feux sur la plage...
Longtemps isolé, le parc se trouve maintenant à 5 heures de route de la capitale de l'État du Maranhao, Sao Luis. Retour ici à une civilisation décalée. Celle des ruelles pavées, des élégantes maisons pastel décorées d'azulejos et des églises construites par les Portugais. Sao Luis est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. Elle est la seule ville du Brésil fondée par les Français (1612) et vit désormais au ralenti, comme figée dans son passé colonial. En face, à quelques encablures, d'autres ruines invitent à un troublant voyage dans le temps, celles de la mystérieuse île d'Alcantara. La belle endormie, cadre idéal pour regarder une dernière fois le soleil se coucher sur l'autre Nordeste.