Enfin ! Depuis le temps que ce pays, inaccessible pendant de longues années, me faisait rêver… C’est le grand matin et ce soir, nous serons à Addis-Abeba.
Nous sommes dix dans cette aventure éthiopienne ; nous faisons connaissance le matin même à Roissy. Il y a deux autres filles : Béatrice, informaticienne, et Joëlle, bibliothécaire, toutes deux grandes
voyageuses et marcheuses confirmées. Et sept garçons : Henri, mon époux, Gilbert, notre guide « local »,Gérard, organisateur du voyage pour Terres d’Aventure, Jean, Didier, Stéphane et Jean-Pierre.
Vers Berahile
Après notre arrivée à Addis-Abeba, nous allons directement dormir. Nous nous préparons pour l’expédition.Le lendemain matin, je marche assez péniblement. Je serre les dents : nous n’en avons que pour cinq heures de marche, a dit Gilbert ce matin. Les cinq heures se transformeront en huit. En fait, il n’a jamais fait à pied cette portion du trek qui va de Mekele à Berahile. Et il est très difficile de se fier à ce que disent les habitants, dont la notion du temps n’a de toute évidence rien à voir avec la nôtre.
J’aimerais savoir marcher sur les mains… Heureusement, Gilbert décide de raccourcir l’étape du jour. Nous devions aller jusqu’à Berahile à pied, mais nous récupérons la voiture plus tôt et finissons
le chemin sur quatre roues motrices.
Nous quittons rapidement la piste principale pour un raccourci qui nous fait descendre dans une gorge absolument splendide, sur les berges caillouteuses d’un lit de rivière presque à sec, où nous découvrons des dizaines de caravanes. Des Afars pour la plupart. Les femmes nous regardent passer, dans
leur costume sombre aux motifs géométriques égayés par des colliers colorés.
Certaines ont les yeux verts. Toutes sont belles et souriantes. Les photographes du groupe se hasardent à sortir leurs appareils et ne sont pas trop mal accueillis. Mais un peu plus loin, deux hommes, armés de kalachnikovs, s’en prennent à Gilbert et Gérard. La discussion est animée, le ton monte des deux côtés. Mais les deux hommes nous laissent finalement repartir.
De retour sur la piste, nous faisons halte dans un village. L’auberge, vide à notre arrivée, se remplit rapidement : on vient voir les étrangers qui sont arrivés à pied. Nous dégustons notre casse-croûte de 11 heures, un délicieux foul, épicé à souhait. Le foul est une préparation à base de tomates revenues dans l’huile et l’oignon et mélangées avec de l’ail, des pois chiches, du piment et d’autres épices, et qui se mange à même le plat avec les galettes de pain éthiopien. Un vrai régal arrosé de thé très chaud et
très sucré servi par une jeune Éthiopienne, tigréenne sans doute, au visage de madone de Botticelli.
Nous poursuivons notre marche vers Berahile. Au loin, un nuage de poussière : c’est le 4×4 de Gilbert qui vient nous chercher. L’auberge où Gilbert a ses habitudes ne paie pas de mine. Sa tenancière est une toute jeune femme aux superbes yeux clairs, qui nous accueille avec un sourire timide. Après le déjeuner, elle nous propose un café. Et le spectacle commence ! Les grains, encore verts, ont été amenés de chez une voisine. Accroupie devant nous, la jeune femme les torréfie dans une petite chaufferette dont le fond est couvert de braises. Puis, elle les pile d’un geste sûr, cent fois répété. Enfin, elle les verse dans une vieille cafetière, presque un samovar, qu’elle remplit d’eau et met directement sur le feu. Ensuite, c’est le même rituel que celui du thé : elle verse le jet bouillant dans des tasses, qu’elle reverse ensuite dans la
cafetière, et recommence, recommence encore et encore…Nous dégustons.
Sentez-vous ce goût corsé, le goût du noir absolu, d’une Éthiopie envoûtante et mystérieuse ? Oui ? Eh bien, c’est encore en dessous de la réalité !
Départ vers notre étape du soir, que Gilbert nous a promise particulièrement agréable. En attendant, la piste, de plus en plus caillouteuse, voire rocailleuse, s’enfonce entre des parois rocheuses. Ici, la terre s’est
plissée, il y a des millions d’années, pour former ce paysage de guingois, sauvage et semi-désertique, où pourtant, la vie continue. Nous croisons des petits animaux et des oiseaux. Et s’il y a des oiseaux, l’eau ne doit pas être loin. Bingo ! Elle coule même en cascade dans un fond de vallée où nous allons
nous poser pour la nuit. Il y a une vraie petite piscine naturelle où nous semons la panique chez les grenouilles du coin. L’envie de se baigner était trop forte après trois jours sans eau !
En route vers le lac Assalé
Aujourd’hui, je ne marche pas. J’économise mes pieds.
Le paysage est magnifique. Champs de pierres grises à perte de vue. C’est la première fois que nous retrouvons un tel univers minéral, semblable à celui de la Namibie. Aussi grandiose et inviolé.
Mais où sont donc les caravanes en route vers le lac Assalé ? Aurions-nous perdu la piste ? Au moment même où je me pose la question, nous découvrons les derniers chameaux d’un cortège sans fin qui descend vers le lac Assalé. Il doit y avoir trois à quatre mille chameaux et autant d’ânes. Une
queue leu leu de dizaines de caravanes. Des kilomètres d’un ruban mouvant qui se déploie devant nos yeux ébahis.
Ce soir, nous dînerons dans le 4×4 et ferons autour du lit des remparts de sacs, bidons, valises : tout ce qui peut arrêter ce vent de dingue, qui finira par retomber vers 2 heures du matin. Deux heures plus tard,
des cris et des embrassades nous réveillent. C’est Ahmed Nour Ali et Houssman, nos chameliers afars arrivés avec leurs quatre chameaux. Ils nous accompagneront demain au lac Assalé et les jours suivants dans le Dallol.
Le lendemain matin, mes pieds vont beaucoup mieux, merci. Et même s’ils ne sont pas parfaits, je n’ai aucune envie de rater le lac Assalé et le clou de cette première partie du voyage.
Le spectacle est stupéfiant et industrieux. Un mélange de bêtes et d’hommes, en pleine activité
pour les seconds, au repos pour les autres, sous un cagnard d’enfer. Il y a ceux qui cassent la banquise, ceux qui dégrossissent les blocs, ceux qui les finissent en leur donnant leur forme de grande brique plate, et tout au bout de la chaîne des petits métiers du sel, ceux qui les attachent entre eux et les
sanglent sur le dos des ânes et des chameaux.
Encore une demi-heure de marche au milieu du grand désert blanc pour atteindre le petit Dallol. Sous nos pas, le sol ressemble à un immense damier de cases blanches. Les rochers de sel, presque rouges, tranchent sur toute cette blancheur. Encore un petit effort pour les escalader en faisant bien attention : pas question d’abîmer ce patrimoine naturel de l’humanité, dont les arêtes sont coupantes comme du rasoir. Lorsqu’elles se cassent, elles mettent à jour des cristaux magnifiques.
De retour dans le Tigré
Retour au goudron et à la bière glacée : Mekele nous paraît soudain comme une ville branchée… Nous retournons déguster des jus de mangue et d’avocat dans notre café préféré. Mekele est incroyablement animé le vendredi soir. La jeunesse dorée du Tigré est de sortie. Et nous, nous allons nous coucher. Demain, nous partons visiter les églises tigréennes des environs.
Direction Abreha-we-Atsbeha et son église orthodoxe éthiopienne très réputée. Elle est splendide, surtout à l’intérieur. Creusée dans la falaise, éclairée par de grands lustres anciens, des icônes et des
gravures à même la pierre ornent ses murs. Dans les coins reposent des tambours de cérémonie et des cannes de pèlerins. À la sortie, nous rejoignons le petit marché coloré qui décore la place du village. Les ménagères nous regardent et commentent, amusées, mais peu insistantes. Les hommes nous abordent pour découvrir d’où nous venons et tenter d’entamer un début de conversation.
Le paysage est de plus en plus sauvage, avec des pitons et des plateaux taillés en tables par l’érosion, le tout planté dans une nature généreuse où villages et champs se succèdent. Des églises s’accrochent en haut des reliefs. Des enfants jaillissent des maisons, poursuivent le 4×4. La piste est de plus en plus improbable, mais à force de demi-tours, nous finissons par arriver au pied de notre destination, l’église de Mikael Minda’e, perchée en haut d’un massif imposant.
L’escalade prend une bonne demi-heure en plein soleil, mais quelle récompense pour ceux qui sont montés ! La vue est grandiose et imprenable sur les massifs qui nous entourent, où s’accrochent d’autres églises. Il y a même un pain de sucre. L’église se cache dans un repli de terrain en contrebas. Nous y retrouvons des pèlerins avec leurs bâtons surmontés d’une croix.
Quelques animaux au palmarès de cette journée : ibis hadada, aigle bateleur découvert par Henri au sommet d’un arbre, touracos gris, huppes et pics-verts…
C’est notre dernier dîner et notre dernière nuit à Mekele et dans le Tigré. Dernier injeratraditionnel. Il est d’ailleurs temps que j’arrête le piment !
Derniers regards sur l’Éthiopie
Le Tigréen est bruyant. Il ne parle pas, il crie. Il ne ferme pas les portes, il les claque. Il ne roule pas discrètement, il met la sono quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.
Comparativement, la capitale que nous rejoignons d’un coup d’avion en milieu de matinée a l’air
totalement endormie. Sunday, it’s closed !
Nous réintégrons le Central Shoa Hotel, dans des chambres un peu moins miteuses qu’à l’aller. Déjeuner dans une pizzeria, puis shopping et bulle à l’Hilton.
Gérard s’est rendu compte qu’il partait dès ce soir, lui qui pensait avoir encore toute la journée du lendemain pour faire ses repérages des hôtels d’Addis-Abeba. Tant pis ! Il reviendra en avril, c’est décidé !
Direction le Debré Libanos, sa falaise et ses geladas,
ces singes d’Éthiopie à la crinière léonine. Il fait beau, la température est idéale et nous prenons la route du nord avec notre guide Négossia. La campagne est belle et riche. Pas du tout l’idée que l’on se fait habituellement de l’Éthiopie, un pays censé être à sec et famélique. Ici, il n’y a que des collines vert tendre et des troupeaux de vaches bien nourries. On se croirait presque dans le Limousin ou en Auvergne !
Les derniers villages que nous traversons alignent des maisons aux briques multicolores. Nous doublons de plus en plus de pèlerins. Et nous atteignons enfin la piste qui conduit au monastère de Debré Libanos. Pas d’autres voitures, mais des dizaines de pèlerins et de mendiants, hommes et
femmes, le plus souvent en blanc, parfois en robe safran, mauve ou verte, s’abritant de la chaleur sous un parapluie, l’autre main tenant le bâton-croix.
Après une dernière douche à l’hôtel et un dernier salut à Gilbert, c’est l’heure de partir pour l’aéroport, où la tête de forage trouvée par Jean dans le Dallol plonge la sécurité dans des abîmes de perplexité… La
nuit d’avion est agitée, avec une halte à Khartoum de minuit à 2 heures du matin. Il paraît qu’il fait moins de 0 °C à Paris. À Francfort, où nous changeons d’avion, il neige et l’on dégivre les ailes et la queue des appareils avant le décollage. Brrr ! Où est le Dallol ? Faisait-il vraiment chaud au lac
Assalé ? Les vacances en Éthiopie sont bien finies.
MÉMO VOYAGE
À savoir :
Un trek dans des conditions extrêmes ne s’improvise pas : la randonnée en pays Afar nécessite un encadrement aguerri tant du point de vue des autorisations à obtenir qu’en termes de choix
du parcours pour l’installation des bivouacs.
Pour des raisons de sécurité, la plupart des touristes, notamment ceux qui circulent en 4×4, ont un recours un peu forcé à des gardes armés, ce qui ne s’avère pas indispensable (ni nécessairement souhaitable) pour les marcheurs. Encore faut-il réussir à le faire valoir tout au long du chemin aux nombreuses personnes qui se proposent de remplir ce rôle.
Le climat caniculaire impose quelques règles de conduite : en raison des températures élevées, les marches s’effectuent en partant très tôt le matin, avec une très longue pause pour le déjeuner, afin de
repartir quand le soleil a baissé. La meilleure période pour réaliser ce genre
de traversée correspond à notre hiver européen, car la région est l’une des plus
chaudes du monde. En février, période très propice, il faut s’attendre à 35 à 40
°C de jour et 18 à 20 °C la nuit, ce qui impose de boire de l’eau en grande
quantité pendant toute la journée (de 6 à 9 litres par jour) : rien de tel qu’un
camel back, une poche à eau étanche dans le sac avec pipette en permanence à portée de
bouche. L’ingestion de cachets de sel et la surveillance d’éventuels signes de
déshydratation font également partie des règles à respecter impérativement.
C’est une conséquence positive du climat sec : a priori, pas de problème de paludisme ; il n’est donc
pas nécessaire de se munir de protection médicamenteuse particulière, mais on
peut néanmoins emporter un répulsif antimoustiques.
Comme dans toutes les régions désertiques, au lever après une nuit en bivouac, une certaine prudence
s’avère nécessaire lorsqu’on manipule les affaires restées en contact avec le
sol : les arachnides qui cherchent la chaleur ou quelques miettes de nourriture
se logent volontiers sous les bâches.
À découvrir :
Des peuples attachants : les fiers Tigréens chrétiens des plateaux, qui ont su résister à
l’oppression politique et ethnique des tyrans au pouvoir après la chute du
négus Hailé Sélassié 1er, forcent le respect. Les énigmatiques Afars, hommes du
désert capables de vivre dans un dénuement complet et dans une nature hostile,
ont conservé un sens du partage des denrées essentielles à la vie dans cette
région (l’eau et la nourriture sont systématiquement offertes en arrivant aux
abords des campements).
La faune est peu nombreuse dans ces terres arides, mais au prix de quelques efforts, peut être observée
avec beaucoup d’intérêt :
- les oiseaux, notamment de magnifiques rapaces
comme l’aigle bateleur et le vautour percnoptère qui se nichent dans les
falaises des canyons entre les contreforts du Tigré et la dépression du Danakil,
sans oublier le fameux rollier d’Abyssinie, multicolore et assez peu farouche.
- les mammifères, dont les célèbres singes d’altitude geladas et leurs
cousins des collines les hamadryas, les nombreux damans des rochers, et si vous
avez beaucoup de chance, comme nous, des gazelles aperçues à la frontière
érythréenne. Les amateurs de chasse photographique ne doivent pas oublier
son téléobjectif, même s’il risque de s’avérer un peu lourd dans le sac.
Le meilleur café du monde, dont la « fabrication » sous vos yeux suit un long processus auquel
il vous est donné d’assister patiemment, en plein désert, et qui vous remplit de sensations fortes oubliées dans nos contrées.
À éviter :
Il est vivement recommandé de ne pas photographier les militaires (ou leurs convois) et de demander le consentement des personnes que vous souhaitez prendre en photo : elles se plieront en général assez facilement à votre demande.
Il est fortement déconseillé d’aborder les populations avec des signes apparents d’agressivité (vous rencontrerez beaucoup d’hommes armés d’un simple poignard ou d’une kalachnikov). Il faut se souvenir que le peuple afar a été souvent brimé dans son histoire et peu à peu repoussé vers ces terres plutôt inhospitalières. De là sont nés des réflexes défensifs qui peuvent vous faire comprendre que
votre présence est tolérée, à condition qu’elle demeure discrète.
L’insouciance lorsqu’on déambule dans le fabuleux site volcanique du Dallol. De nombreux pièges géologiques vous y attendent : émanations de gaz toxiques, lacs d’acide, terrains meubles dans lesquels vous pouvez vous enfoncer… La beauté du site ne doit en aucun cas vous inciter à l’imprudence.
Liens utiles :
www.dear-ethiopia.com : une bible réalisée par un Français amoureux du pays et de
nombreuses références bibliographiques
précieuses.
Pour les amateurs (anglophones) de nature, le
« Guide Bradt Ethiopia » est à la fois généraliste et naturaliste, et de surcroît disponible en France sans
difficulté.