L'Ecosse, avec ses 800 îles, représente à peu près 30% de la superficie du Royaume-Uni. Ses 5,2 millions d'habitants vivent à 80% dans les Lowlands (les Basses Terres). C'est le coeur du pays, où l'électronique et l'informatique ont remplacé la houille, le fer et les filatures. Mais comment ne pas préférer les Highlands (Hautes Terres), sauvages et grandioses, où la grande Histoire rencontre la petite ? Entre mer et montagnes, légendes et épopées, les paysages et souvenirs s'entrecroisent, de l'île de Skye à Fort William...
Le Jacobite, train à vapeur à panache blanc de la West Coast Railway Company qui assure, pour les touristes, la ligne Mallaig- Fort William, attendra un peu... «La précipitation est la ressource des hommes qui manquent de foi», disait Robert Louis Stevenson. L'appel de la mer des Hébrides et des îles environnantes est trop fort. Le ciel est pur, les lumières magnifiques. Et sur ces côtes tourmentées, comment ne pas songer justement à l'Ecossais Stevenson ?
Le père de l'auteur de L'île au trésor, du Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde, de La Flèche noire et de bien d'autres livres encore, était constructeur de phares. Il présidait une entreprise rendue prospère grâce à un nouveau procédé d'éclairages lenticulaires. Le jeune Robert Louis accompagnait souvent son père à l'étranger (Allemagne, Autriche, Italie, France), au Pays de Galles, en Angleterre et en Ecosse. Son intérêt pour les récits d'aventures est né de ces voyages...
Face au petit port de Mallaig s'étend l'île de Skye. Parfois surnommée «l'île des brumes», elle est la plus grande des Hébrides intérieures avec ses 155 km2. Vêtu d'un ciré rouge et de longues bottes, Mark Woombs, de la société WA Marine, attend devant la gare. Il se lèche les doigts avec gourmandise en mangeant du fish and chips dans une barquette en carton. «Je suis le propriétaire du bateau le plus rapide du port», dit-il fièrement. C'est un long cigare à boudins orange doté de deux énormes moteurs qui soulève des gerbes d'eau salée. En quelque dix minutes, sur une vilaine mer qui le fait rebondir sèchement sur les vagues, il nous mène au port d'Armadale en traversant le détroit de Sleat.
Que les amateurs de traversées plus tranquilles et moins humides se rassurent : il existe aussi un car-ferry de la Caledonian MacBrayne Company, qui met vingt minutes environ pour franchir le détroit. Et, depuis 1995, un pont à péage relie plus au nord le port de Kyle-of-Lochalsh à Kyleakin, aux confins du loch Alsh. L'île de Skye n'est plus vraiment une île et beaucoup de ses habitants – dont 58% se vantent de parler le gaélique de préférence à l'anglais – le regrettent. On est insulaire ou on ne l'est pas.
Dans l'île, comme partout en Ecosse, l'histoire et la légende sont intimement mêlées. On raconte que deux des plus grandes familles du cru, les MacDonald et les MacLeod, s'en disputaient la propriété... Il fut décidé que les premiers à l'atteindre en bateau s'en empareraient. On organisa une sorte de régate. A quelques mètres de la rive, les embarcations des deux clans étaient toujours bord à bord. Un MacDonald se trancha alors la main d'un coup d'épée pour la lancer sur la grève. C'est ainsi que les siens purent dire qu'ils étaient arrivés les pre miers !
Les Macdonald sont toujours présents sur cette terre sauvage qui associe mer et montagnes dans une magnifique harmonie. Ici, tout respire la paix. Mais les tempêtes sont rudes et l'histoire de l'île ressemble à une complainte rythmée par les invasions subies ou les migrations forcées : il y avait encore 23 00O habitants à Skye en 1840, il n'y en a qu'un peu plus de 8 000 aujourd'hui ! La tombe de Flora MacDonald, près de Kilmuir, rappelle que Bonnie Prince Charlie, le «gentil» Charles-Edouard Stuart, trouva refuge à Skye, déguisé en servante, grâce à cette jeune femme téméraire, après la défaite de ses troupes à Culloden en 1746. Ce fut la fin de l'épopée jacobite (1) et des espoirs d'indépendance de l'Ecosse. Mais, n'est-ce qu'une impression ? l'âme des Stuart rôde toujours dans l'île.
Aujourd'hui, la plus connue des MacDonald, Claire, dirige avec son mari une charmante maison d'hôte, Kinloch lodge, qui n'est autre que la demeure ancestrale du clan : un cottage aux murs blancs du XVIIe siècle, délicieusement scottish, avec vue imprenable sur les Cullin Hills et la Trotternish, les montagnes environnantes. Des bûches se consument en plein mois de juin dans l'âtre de la cheminée d'un des deux salons, les canapés sont profonds et le calme prodigieux.
Claire a écrit une bonne douzaine de livres de cuisine traduits dans le monde entier et vend dans un petit show room, outre ses ouvrages, quelques-uns de ses produits préférés : ses confitures, mais aussi des bocaux de griottes dénoyautées de France ou des fiasques d'huile d'olive d'Italie. C'est une gastronome, et le dîner, servi à 20 heures pétantes, le prouve : du crabe de l'île de Skye à la tarte poire-amande en passant par l'agneau à la menthe, le menu est aussi raffiné que la conversation de son mari, lord MacDonald, qui passe de table en table à la fin du repas pour s'enquérir de la qualité des vins et du bien-être de ses hôtes. Il les accompagne à sa manière jusqu'à leur chambre à coucher puisqu'une grande peinture le représente en kilt dans la cage d'escalier...
Les phares de Stevenson, le hors-bord trépidant de Mark Woombs, les confitures de Claire MacDonald, les paysages d'aquarelle de l'île de Skye : tout cela nous poursuit au moment de reprendre le train sur les traces du héros sans doute le plus populaire des temps modernes : Harry Potter lui-même ! Le Jacobite, train à vapeur aux confortables voitures lambrissées, traverse, de Mallaig à Fort William (66 km), la région qui a servi de toile de fond à plusieurs scènes des filmsHarry Potter à l'école des sorciers et Harry Potter et la chambre des secrets.
La locomotive à vapeur utilisée dans les deux longs métrages est l'ancienne GWR «Hall» class 4-6-0 N° 5972 Olton Hall, qui appartient à la West Coast Railway Company. Et personne ne peut oublier la spectaculaire course poursuite entre la FordAnglia volante d'Harry et ses amis et le Hogwarts Express lancé à toute allure sur le viaduc de Glenfinnan. Ce viaduc de 380 m de long à 30 m de hauteur, construit par Robert «Concrete Bob» McAlpine, est sûrement, avec ses 21 arches, l'ouvrage de génie civil le plus photographié de toute l'Ecosse.
La ligne Mallaig-Fort William compte 17 arrêts, et dès le deuxième, à Morrar, le voyageur est happé par le cinéma puisque deux films à succès ont été tournés dans cette station balnéaire célèbre pour son sable blanc digne des Seychelles : Local Hero, avec Burt Lancaster, et Highlander,avec Christophe Lambert, et surtout Sean Connery, farouche indépendantiste et Ecossais pur jus !
L'ancien James Bond aime le golf, le whisky, le théâtre shakespearien, il est docteurhonoris causa des universités écossaises de Saint Andrews et Heriot-Watt, membre honoraire de la Royal Scottish Academy of Music and Drama, il a fondé en 1968 le Scottish International Education Trust, bref il incarne son pays dans toute sa splendeur. Il n'y vit plus depuis longtemps, mais qu'importe ! Comme le dit Fred Urquhart, les Ecossais ont «toujours fait de beaux boxeurs et des champions de l'émigration».
Et puis, last but not least, il a reçu en 1992 un prix très recherché : celui du Sexiest Man Alive («l'homme vivant le plus séduisant») par le magazine People. Mais l'homme, qui a renoncé depuis longtemps à la moumoute qu'il portait dans les aventures de 007, n'en a cure : «Plus que tout, disait-il déjà voici vingt-cinq ans, je voudrais être un homme âgé avec une belle tête, comme Picasso ou Hitchcock.» Voeu apparemment exaucé.
Près de la voie ferrée, mais caché par des arbres, le loch Morrar étend ses eaux argentées au fond desquelles, dit-on, se tapit une autre star : Morag, cousin de Nessie, le monstre du loch Ness... Tout est bon pour appâter le touriste ! Le train à panache blanc passe ensuite à Arisaig, la gare la plus occidentale de Grande-Bretagne. Du port, abrité au fond du loch Nan Ceall, des bateaux mènent aux îles de Rhum et d'Eigg pour des excursions d'un jour.
Quand le convoi