Ses neuf bras lui ont valu le surnom de «fleuve aux Neuf Dragons». D'aucuns lui préfèrent l'appellation, plus déférente, de «mère des eaux». Le Mékong est, en effet, l'un des plus longs fleuves du monde, parcourant quelque 4 200 kilomètres des hauts plateaux tibétains, où il prend sa source, jusqu'à la mer de Chine méridionale, dans laquelle il se jette après avoir traversé la Chine, la Birmanie, le Laos, le Cambodge puis le Vietnam. Dans l'extrême sud du pays, son delta s'étale sur une région essentiellement rurale. Il ne faut pas espérer découvrir là monuments ou vestiges archéologiques, car le patrimoine historique est restreint. Les charmes du delta du Mékong résident dans la luxuriance de sa végétation, la diversité culturelle de ses populations et dans une vie quotidienne singulière que le fleuve, seul, orchestre.
Immense labyrinthe aquatique, formé d'alluvions déposées au fil du temps, il offrait, jadis, le spectacle d'un vaste marécage recouvert de mangroves, domaine des cormorans et des crocodiles. Il fut d'abord habité par les Khmers puis, au XVIe siècle, par des colons vietnamiens arrivés par la mer. La dynastie des seigneurs Nguyen fit assécher les marais et construire des canaux. Au bord de ce réseau complexe naquirent les villages, regroupés en neuf provinces et peuplés en majorité par des Khmers, des Cham et des Chinois, de confessions bouddhiste, catholique, musulmane, caodaïste. Le delta du Mékong forme aujourd'hui la région la plus riche du Vietnam, couramment qualifiée de «grenier à riz».
Toute visite commence à Hô Chi Minh-Ville, l'ancienne Saigon. On peut emprunter la voie fluviale (bateau ou bac) ou la route, le réseau étant l'un des plus praticables du pays et desservant les principales villes de la région. En direction de Chau Doc, un arrêt à Sa Dec s'impose. Dans cette minuscule bourgade, où Marguerite Duras situa l'intrigue de L'Amant, on cultive fleurs et bonsaïs en quantité. Les exploitations horticoles sont alignées le long de la rue principale, chacune d'entre elles étant spécialisée dans la culture d'une variété. De Sa Dec, il vaut mieux prendre le bateau pour rejoindre Long Xuyen, capitale de la province d'An Giang, et poursuivre vers Chau Doc.
On ne peut pas quitter Chau Doc avant d'avoir gravi le mont Sam. A 5 kilomètres du bourg, ses flancs sont jalonnés de temples et de pagodes, certains bâtis dans des grottes. Au sommet, la vue sur les rizières, d'un côté, et la frontière cambodgienne, de l'autre, est exceptionnelle. Mais l'ascension réserve d'autres surprises. Dinosaures en céramique, statuettes et reliquaires dispersés çà et là, habitations de bonzes... les pagodes Tay An et de la caverne, le temple de Chua Xu et le tombeau de Thoai Ngoc Hau y conjuguent kitsch et style vietnamien traditionnel.
Sur la route du sud du delta, Can Tho constitue une autre étape majeure. Avec 150 000 habitants, cette capitale provinciale est une ville très dynamique et attirante, bien que les curiosités touristiques y soient limitées. Elle est le point de départ des croisières sur le Hau Giang, bras le plus méridional du delta du Mékong, qui incluent la visite, à Phung Hiep, du plus important marché flottant de la région, à l'intersection de sept canaux. Les croisières sur la «mère des eaux» s'effectuent le plus souvent en pirogue à moteur. Au fil de la navigation lente, le long des berges à la végétation luxuriante, les gestes de la vie quotidienne se dévoilent. Pêche, vaisselle, jeux d'enfants plongeant sous l'eau à l'arrivée de l'intrus, bricolage, toilette... les habitants du delta saluent toujours le visiteur en relevant leur chapeau conique.
Revenu sur la terre ferme, on rejoint par la route Soc Trang, une petite ville essentiellement peuplée de Khmers qui y ont édifié de nombreux temples. La pagode Kh'leng fut construite en bambou au XVIe siècle, puis largement consolidée par une structure de béton. Une douzaine de bonzes y vivent en permanence, accueillant le visiteur désireux d'approfondir ses connaissances sur le bouddhisme. Entracte spirituel que l'on prolonge au musée de la Civilisation khmère, situé juste en face. Parmi les temples, la palme de la singularité revient à la pagode aux chauves-souris: des milliers d'entre elles sont suspendues dans les arbres fruitiers qui entourent l'édifice. Ainsi doit-on éviter les visites en matinée, car les bestioles déploient leurs ailes, passent à table et provoquent de nombreux dégâts! Dans le parc, vous aurez peut-être la chance de croiser un vieux sage, intarissable sur l'histoire de son pays, parlant vietnamien, chinois, français et anglais.
Avant de replonger dans l'agitation de Hô Chi Minh-Ville, on peut encore s'arrêter à Vinh Long, puis à My Tho. Mais ces étapes brouilleraient l'image des canaux se frayant un chemin dans la jungle, des couleurs des marchés flottants et de la danse des chapeaux coniques sur les berges du fleuve.