Madagascar est plus qu'une île. C'est un ovni. Cet ancien morceau de terre africaine échouée au gré de la dérive des continents dans l'océan Indien réussit un assemblage inédit entre pas moins de 18 ethnies différentes. Paysans venus d'Afrique, pasteurs, voleurs de zébus, marins débarqués de Malaisie au terme d'un long voyage: tous différents mais tous viscéralement attachés à leur terre rouge. Madagascar ne ressemble à rien de connu. Ce serait une Afrique au tempérament tropical, un métissage de brousse, de savane et de forêt vierge, de plages blondes baignées par une mer de carte postale, de rizières, de hauts plateaux ocre, brûlés par le vent, où les paysans confectionnent un foie gras qu'un bon Gersois ne désavouerait pas. Le tout, au rythme mora-mora (cool-cool) qui constitue la devise de l'île.
Malgré la beauté de l'endroit, entière, solaire, il reste difficile de se faufiler dans la vie malgache. En raison, d'abord, de la pauvreté, incompréhensible, insupportable à nos conforts repus. De la timidité des autochtones, ensuite. «Les Malgaches sont farouches et gardent une réserve gênée face à l'ancien colonisateur. Quand j'étais gosse, chez moi, les gamins s'enfuyaient en hurlant lorsque, d'aventure, unVazaha (un Blanc) passait dans le village», sourit Payot, mon guide. Lourd héritage.
Né à Diégo-Suarez (Antseranana), au nord de l'île, où son grand-père, légionnaire corse, avait «oublié» sa famille malgache en repartant en métropole, notre guide fut, successivement, réparateur de télévisions (à 13 ans), taxi en ville (à 18), taxi-brousse (à 20), entrepreneur, constructeur de maisons (à 26), chauffeur d'un 4 x 4 de location (à 27), assistant du guide (à 28) puis guide à part entière. Payot a aujourd'hui 30 ans et bien des vies au compteur. Drôle de nom, d'ailleurs, Payot. Enfant, il s'appelait encore Ansara et raffolait du lait concentré de la marque Payot, une denrée précieuse et rare: «Je me suis juré qu'un jour je travaillerais assez pour me payer toutes les boîtes de lait concentré de l'océan Indien.» Une ambition qui en vaut une autre. Et qui lui a forgé un nom. Payot nous fera découvrir une partie du Sud sauvage, lors d'un périple d'une dizaine de jours. Le Nord, Nosy Be et ses plages de rêve, «tes lecteurs peuvent y aller avec n'importe quelle agence».
Notre voyage commencera par Tuléar (Toleara) la blanche, située au bord du canal de Mozambique, qui sépare l'île du continent africain. Aux «portes du désert», la ville sommeille, forteresse accroupie sous la chaleur, tapie dans l'attente d'un vent de sable, d'une tempête qui ne viendra pas. La première leçon de Tuléar sera la patience, indispensable viatique pour qui veut voyager à Madagascar. «Il faut sourire, ne jamais montrer son énervement. Le rythme malgache n'est pas le même que le tien», commente Payot. Tuléar l'indolente devient, le soir, Tuléar la brûlante. La ville se transforme, au coucher du soleil, en Las Vegas malgache. Les filles défilent, reines de la rue, en robe de lamé. Les garçons, peigne de couleur planté au milieu de la chevelure comme un diadème (cela veut dire que leur cœur est à prendre), suivent la parade et n'en perdent pas une miette. Tout le cortège finit au Zaza's Club, «l'endroit le plus sympa du pays». Sous une immense véranda ouverte à la brise, enfin rafraîchie, du soir, on danse, on se trémousse, on guinche, on zouke... Et pourtant,un quotidien malgache qui traîne sur une table, annonce en Une: «Tuléar sous la menace du choléra». «Quelle importance? remarque une jeune fille. Mieux vaut se distraire en attendant la mort.» Cette mort avec laquelle les Malgaches ont des liens culturels si étroits.
Au fil de la piste qui s'enfonce vers le massif de l'Isalo, on s'engage dans le pays des Bara, des pasteurs nomades d'origine bantoue. «Ce sont les plus grands voleurs de bétail du monde», fanfaronne Payot, pas peu fier de son effet. La rapine de zébu reste un sport national au cours duquel le voleur (dahalo ou masalo) prouve sa ruse et son courage. Jadis, une femme n'accordait ses faveurs qu'à celui de ses prétendants qui affichait les états de service les plus probants. «Ici, on mesure la richesse d'un homme à l'importance de son troupeau. Lorsqu'on a besoin de construire une maison ou d'acheter une voiture, on vend un zébu. C'est une banque sur pattes, en quelque sorte.»
Vers l'intérieur des terres, les «villages» de la tribu des Mahafaly («ceux qui vous rendent heureux», en malgache) regroupent quelques cabanes de bois séchées. On rencontre pourtant de belles maisons de briques, aux murs décorés de peintures naïves, évoquant des chevaux, des licornes, des fleurs... Ce sont des cimetières. «Pourquoi investir dans une maison? On n'y est que de passage. La tombe, c'est du sérieux, on n'en sort plus», argumente Payot.
Deux jours de piste plus loin, on aperçoit le massif de l'Isalo. Crêtes déchiquetées, pitons, plateaux lunaires: l'érosion a façonné au cours des âges les corniches de grès jurassiques jusqu'à ciseler des herses, des orbites, des becs. La balade dans le parc naturel de 80 000 hectares nous fera traverser des canyons profonds, des amphithéâtres naturels décorés de traînées sanglantes comme des restes de peintures polychromes ou encore des massifs plissés, drapés, travaillés par le vent avec la finesse d'une étoffe.
Ce décor tourmenté suscite chez les Malgaches nombre de coutumes et de fady (interdits). A chaque croisement de chemin, mon guide jette une pierre sur un monticule déjà existant «pour apaiser les ancêtres qui gardent les chemins». Nichées dans des anfractuosités de la falaise, une multitude de tombes sakalavas observent notre marche. «Dans mon pays, les vivants évoluent sous le regard des morts. La frontière entre le monde visible et l'au-delà est si ténue...», confie Payot. La tribu Sakalava, littéralement «ceux des longues vallées», réunit les Makoa, des agriculteurs descendant d'esclaves africains installés près de l'embouchure de l'Onilahy, et les pêcheurs vézo, indonésiens d'origine, établis près des côtes. «Le canyon entier est un cimetière, explique Payot, en baissant la voix. Chez les Makoa, un membre de la famille du défunt doit s'attacher à une corde, en haut de la falaise, et descendre en portant le cadavre jusqu'à ce qu'il trouve une petite grotte. Puis, il dépose son fardeau et mure le tombeau avec des pierres et un enduit.»
Pour les Malgaches, le pays est la terre sacrée des ancêtres, eux seuls en demeurent les véritables propriétaires. «Chez moi, dans le Nord, continue Payot, nous pratiquons tous les ans lefamadihana, le ``retournement des morts'': on déterre les os des ancêtres, on les embrasse, on danse avec eux, on festoie et on sacrifie quelques zébus. Avant d'inhumer à nouveau les ossements.»
La chaleur devient suffocante. Payot décide de regagner le bord de mer. Cap à l'ouest, vers Anakao, le village de la tribu des Vézo. La piste est bordée de didiereas. Ces étranges arbres pourvus de cinq ou six grosses branches si flexibles qu'elles se tordent au moindre vent semblent, de leurs bras malades, implorer les bourrasques, maudire le ciel, étreindre l'azur pour l'étouffer. Quittant ces inquiétantes sentinelles, nous rejoignons Anakao sur les grèves du canal de Mozambique. Une flaque blonde dérisoire dans l'éternité bleue, sur le tropique du Capricorne. Des pirogues à balancier sont échouées sur le sable en une guirlande vert, jaune et bleu. La sieste se prolonge. Quelques gosses trient de petits poissons qu'on fera frire plus tard. Peut-être. On a tout le temps: mora-mora.
Nous trouvons tout de même un volontaire pour nous accompagner vers l'île de Nosy Ve. «D'abord, on passe au supermarché», plaisante Payot, en lançant sa ligne. Un barracuda a la bonne idée de s'y prendre aussitôt. On grillera notre déjeuner sur une plage. Pour nous protéger du soleil, une toile immaculée est tendue entre quatre piquets de bois. «Mon ami le pêcheur a fabriqué une ``maison-voile''», explique Payot. Les Vézo se servent ainsi de la voilure de leur bateau pour ériger leurs campements éphémères, au rythme de la saison de pêche. Parfois même, ils s'y enroulent à plusieurs, afin de se protéger du froid et de la pluie. Leur vie se passe en cabotage, le long de la côte sud. Lors des grosses prises, ils vont vendre leur pêche à Tuléar. Sinon, ils rentrent à Anakao et partagent le butin avec toute la famille.
Ouvert en deux, le poisson éviscéré brille de mer, de sel et de sang. Nous sommes au cœur d'une enluminure où se mêlent les bleus les plus profonds, les rouges les plus chatoyants, les blancs éclatants de lumière; un bas-relief où s'animent une sarabande de la mort, des cimetières à ciel ouvert, des fady et des tombes. Madagascar est un vitrail.
Renseignements
Ambassade de la République malgache. 4, avenue Raphaël, 75016 Paris, 01-45-04-62-11. Visa obligatoire. Pas d'office de tourisme.
Santé. Les antipaludéens sont obligatoires, surtout pour ce type de voyage. Ne consommer que de la viande très cuite, des légumes bouillis. Proscrire l'eau courante: eau minérale même pour se laver les dents. Prévoir une trousse de premier secours et les médicaments habituels.
Téléphoner
De Paris à Madagascar, composer 00 + 261 + 20 + numéro du correspondant.
Comment y aller
Voyage individuel
Pour découvrir le sud de l'île, le mieux est d'opter pour un auto-tour. La formule comprend voiture avec chauffeur et réservations d'hôtels ou d'auberges de jeunesse.
Les bonnes adresses
A Antananarivo, l'hôtel Grégoire **, grandes chambres simples et confortables, juste à côté du marché artisanal d'Andravoahangy, . 261-20-22-222-66.
A Ranohira, dans le massif de l'Isalo, le Relais de la Reine offre 12 bungalows*** et une piscine, demi-pension. 261-20- 22-351-65.
A Tuléar, l'hôtel Capricorne compte 31 chambres au milieu d'un jardin tropical. 261-20-94-426-20.
Restaurants
Sur l'une des collines d' Antananarivo, Le Restaurant, installé dans une belle maison coloniale, joue sur un registre grande classe. Le Tatao , situé près de l'hôtel Colbert, dans le quartier des ministères, sert une cuisine plus simple mais de très bonne qualité.
Achats
A Antananarivo, les nombreux marchés du centre-ville permettent de faire provision d'artisanat. Paniers et chapeaux multicolores, objets usuels en bois ou couverts en corne de zébu à profusion.
Lire
Madagascar (Guides Gallimard); Madagascar et Comores (Lonely Planet); Madagascar (Guide du Routard, Hachette).
Auberges de jeunesse madagascar.
24 rue Rainitsarovy, Antsahamanitra, ANTANANARIVO Antananarivo, Madagascar